Nicolas Milovanovic
Conservateur du patrimoine au musée national des châteaux de Versailles et de Trianon
Louis XIV décida d’édifier la galerie des Glaces (appelée alors Grande Galerie) à la fin de la guerre de Hollande (1672-1678) : c’est la guerre qui permit au roi de s’imposer sur la scène européenne. Il y acquit le titre de « roi de Guerre » qui préfigurait celui de « roi de Gloire ». La ville de Paris lui décerna le titre de Louis le Grand dès 1679.
La galerie des Glaces devait immortaliser la gloire du souverain au cœur du château de Versailles, qui était sur le point de devenir le siège de la cour. Louis XIV n’hésita pas à faire détruire six pièces de son Grand Appartement et de celui de la reine Marie-Thérèse ainsi que la terrasse qu’il avait fait aménager huit ans auparavant afin que la galerie puisse se déployer sur toute la largeur de l’aile.
L’architecte de la galerie, Jules Hardouin-Mansart, imagina un ensemble composé d’une galerie flanquée de deux salons à coupole. En concurrence avec Charles Le Brun, le Premier Peintre, il conçut un décor formé de dix-sept arcades ornées de 357 panneaux de glaces qui ont fini par laisser leur nom à la galerie.
Le décor forme un tout, on peut parler d’« art total » : il comprend des glaces, des marbres de couleurs, des bas-reliefs de bronze et de plomb, les fameux chapiteaux d’ordre français aux coqs et aux fleurs de lys, des groupes de stuc en ronde bosse posés sur la corniche, et enfin le morceau de bravoure : la peinture de la voûte réalisée par Charles Le Brun et ses collaborateurs sur près de 1 000 m2.
C’est là que se déploie le sens historique et politique voulu par le roi. Le décor de la galerie des Glaces a été réalisé entre 1679 et 1684 ; celui des salons de la Guerre et de la Paix a été terminé en 1687.
Le sujet du décor a changé fondamentalement à deux reprises, ce qui démontre l’importance qu’on lui accordait et la difficulté de satisfaire le roi. Le premier sujet devait montrer Apollon comme métaphore pour Louis XIV ; c’est l’image du Roi-Soleil, particulièrement utilisée dans les années 1670. On décida très vite de remplacer Apollon par Hercule, autre métaphore pour le roi de France qui avait été fréquente sous Henri IV et Louis XIII.
Ce deuxième projet fut élaboré dans le détail. Charles Le Brun en a très probablement été l’auteur (comme pour le projet sur le thème d’Apollon). Les sources indiquent que c’est au tout dernier moment, juste avant l’exécution, que ce second projet fut finalement rejeté. Louis XIV lui-même aurait décidé de renoncer à la métaphore. Il choisit d’être représenté en personne dans un décor « mixte » mêlant l’allégorie et l’histoire.
Le Brun dut fournir un effort d’imagination considérable pour concevoir un troisième projet entièrement neuf. Il ne travailla pas seul, on lui adjoignit un homme de lettres pour l’assister : Paul Tallemant. Celui-ci était membre de la Petite Académie, future Académie des inscriptions et belles-lettres. Il collabora certainement avec Le Brun pour le choix des sujets et infléchit certaines représentations dans le sens des images « savantes » : devises et médailles. Il composa enfin la première série d’inscriptions accompagnant les sujets de la galerie.
Ces inscriptions étaient en latin. Elles ont très vite été remplacées par des inscriptions françaises dues à François Charpentier. Ce remplacement s’inscrivait dans le cadre de la querelle des Anciens et des Modernes, dont l’un des aspects a été le débat sur les qualités respectives du latin et du français pour les inscriptions. Le style de Charpentier fut critiqué par Boileau et Racine, qui composèrent de nouvelles inscriptions françaises. On a très récemment découvert qu’un troisième changement intervint, au XVIIIe siècle, pour plusieurs inscriptions.
Ces querelles démontrent en tout cas l’importance de l’inscription : elle est indissociable de l’image. Elle donne l’explication du sujet. La transcription des inscriptions latines qui a été faite au cours du chantier de restauration de 2004-2007 par Pierre Laurens et Florence Vuilleumier-Laurens a permis de mieux comprendre la signification du décor.
La richesse de sujets, qui comportent parfois plus de vingt personnages allégoriques, demandait des explications plus détaillées que les seules inscriptions présentes dans le décor. Des textes explicatifs ont été commandés par le roi avant même l’achèvement du décor (voir ici l’Avertissement). Ils sont reproduits dans la partie « outils ». Le site lui-même constitue une base de données iconographiques dont l’ambition est de révéler la signification actuellement considérée comme la plus probable de toutes les allégories tout en éclairant les principaux codes symboliques du décor : gestes, couleurs, héraldique, hiérarchies et relations entre les personnages. Les compositions sont elles-mêmes hiérarchisées et mises en relation.
L’ensemble du décor de la galerie des Glaces constitue, de fait, un véritable « édifice symbolique » qui comprend plusieurs niveaux de lecture et aussi plusieurs interprétations : les inscriptions donnent une signification emblématique à la galerie, c’est-à-dire qu’elles permettent une association intime entre texte et image ; plusieurs auteurs (notamment Rainssant et Boileau) ont qualifié les sujets de la galerie des Glaces d’« emblèmes héroïques » des actions du roi. Les compositions proposent, en effet, des modèles de valeur militaire et de gouvernement qu’il faut décrypter grâce à la relation du texte et de l’image, comme pour les livres d’emblèmes paraissant depuis le XVIe siècle sur le modèle des Emblemata d’André Alciat.
La signification des sujets est également historique, avec plusieurs niveaux de discours : les principales compositions traitent de la guerre de Hollande. Les ovales et les octogones montrent les principaux actes du gouvernement civil. Les octogones qui flanquent la composition centrale évoquent la guerre de Dévolution (première guerre menée par le roi mais de moindre importance que la guerre de Hollande). Les quatre ovales centraux, de plus grandes dimensions que les autres et d’une technique différente (huile sur toile marouflée au lieu d’huile sur plâtre), montrent les quatre fondements du gouvernement de Louis XIV : la Justice, les Finances, le Commerce et les Arts.
Il est donc important de préciser qu’il n’y a pas un fil narratif unique qui se déroule sur l’ensemble de la voûte, c’est-à-dire un sens de parcours du premier au dernier tableau. Au contraire, il s'agit d'un système hiérarchisé mettant en relation plusieurs récits distincts (guerre de Hollande, guerre de Dévolution, gouvernement civil, quatre piliers de l’État) et s’organisant autour de la composition centrale, qui constitue la clef de l’ensemble du décor : la décision prise par Louis XIV en 1661 de gouverner par lui-même et d’acquérir la gloire par les armes face aux trois puissances rivales européennes – l’Empire, l’Espagne et les Provinces-Unies.
Nous espérons que ce site permettra non seulement de fournir les réponses à l’ensemble des questions d’ordre iconographique que les visiteurs de la galerie peuvent se poser (que signifie tel attribut ? que représente tel personnage ?), mais aussi de dévoiler la cohérence interne d’un système iconographique d’un raffinement exceptionnel.
Auteur : Nicolas Milovanovic
© Coproduction RMN – EPV, 2008