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/ p. 1 / Je crois, Madame, que je ne puis mieux répondre à ce que vous attendez du premier article de ma lettre sur les choses qui regardent la gloire du roi, qu’en vous envoyant une description de la galerie de Versailles, qui m’est / p. 2 / tombée depuis peu de jours entre les mains, et que M. Lorne peintre a faite avec une entière exactitude. Elle est belle, succincte, fort intelligible, et comprend toute la vie de notre auguste monarque, depuis qu’il a commencé à gouverner par lui-même. Vous me l’aviez demandée il y a déjà longtemps de la part de vos amies, et je vois par toutes les lettres que je reçois qu’elle est extrêmement souhaitée dans les pays étrangers. Ainsi, Madame, comme vous souffrez que celles que je vous adresse deviennent publiques, / p. 3 / en vous faisant part de cette description, je puis dire que je satisfais à la curiosité de toute l’Europe.
Explication de la galerie de Versailles
L’allégorie est la manière la plus ancienne d’exprimer les pensées par des caractères. Les lettres n’ont été en usage que longtemps après que les Égyptiens eurent, par des figures, laissé à la posté- / p. 4 / rité les mystères de leur religion, et les lois de leur État. Les poètes depuis, sous des sens allégoriques, dans les métamorphoses et dans les fables, nous ont donné les plus beaux préceptes, et les leçons les plus utiles de la philosophie. Les ornements de ce fameux temple [temple de Salomon], dont Dieu lui-même donna le dessein au plus sage des monarques, étaient mystérieux ; mais cette science a été en usage de tout temps, principalement parmi les peintres / p. 5 / et les sculpteurs, qui n’ont d’autre langage pour se faire entendre dans leurs ouvrages. Jupiter est la Puissance ; Junon, l’Autorité ; Mars, la Valeur ; Hercule, la Force. Une belle femme qui tient un sceptre et une couronne d’étoiles est la Gloire. Une autre avec des ailes, qui tient un sable et un éperon, accompagnée d’un coq, est la Vigilance. Pour la Prévoyance, ils font une femme avec un compas et un livre. La figure de la Renommée est assez con- / p. 6 / nue. Ils expriment le Secret par un jeune homme tenant un cachet sur sa bouche et ayant ses cheveux attachés à un bandeau d’or, qui soutient une sphinx. La Victoire est couronnée de laurier ; elle a des ailes et porte un trophée. La Peur tient un lièvre. L’Envie est entourée de serpents. La Terreur embouche une trompette et menace avec des fouets ; sa coiffure est une tête de dragon en forme de chimère. L’Abondance tient la corne d’Amalthée ; et la Tranquillité / p. 7 / couronnée de fleurs, a dans la main une grenade. Ils ont encore quantité d’autres figures, qu’il serait utile de décrire ici, n’étant point ou peu représentées dans la galerie de Versailles, où M. Le Brun a peint l’Histoire du roi, depuis la paix des Pyrénées jusqu’à celle de Nimègue. Pour exprimer les différents mouvements qui ont fait voir ce prince, et les ennemis qui se sont opposés à ses desseins, il ne s’est servi que des divinités qui nous sont les plus connues, et qu’il / p. 8 / a accompagnées de toutes les marques propres à les distinguer. Les royaumes, comme les provinces et les villes, sont représentés par des femmes vêtues à la mode de leurs peuples et ayant leurs armoiries auprès d’elles. Les fleuves sous la figure de vieux hommes couronnés de roseaux, sont remarquables par des urnes d’où sort l’eau de leur source. Enfin, il a pris un si grand soin de marquer tout ce qui peut rendre ses pensées intelligibles, que pour peu que / p. 9 / l’on sache les poètes, on explique sans peine les sujets ; et l’allégorie, loin de les obscurcir, les éclaircit et les enrichit, étant traitée avec tout l’art et toute la délicatesse nécessaires pour faire comprendre une infinité de circonstances très importantes au sujet, qu’il eût été impossible de faire concevoir sans ce moyen dont il s’est ingénieusement servi pour les marquer.
L’histoire commence par un des tableaux [il a 40 pieds de long] qui est au
/ p. 10 / milieu de la galerie, où le roi, dans la fleur de la jeunesse, envisageant la gloire, prend après son mariage le gouvernement de l’État, et quittant pour la mériter les plaisirs d’un règne paisible, médite de rendre ses sujets heureux et d’humilier ses ennemis.
Dans douze ovales [ils ont 8 pieds de haut], on voit le commencement de ses glorieux desseins exécuté. On y remarque l’ordre qu’il met dans les finances ; le soin qu’il prend de faire rendre / p. 11 / la justice ; le rétablissement du commerce ; l’institution des Académies ; le secours qu’il donne à l’Empire contre les Turcs ; les troupes qu’il envoie en Hollande contre l’évêque de Munster ; la satisfaction que lui fait l’Espagne pour l’insulte que son ambassadeur avait faite au nôtre en la ville de Londres ; la pyramide élevée dans Rome pour réparation de la violence faite par les Corses à notre ambassadeur ; l’alliance avec les treize cantons ; l’arrivée des ambassadeurs des na- / p. 12 / tions les plus reculées ; la jonction des deux mers ; et la construction des Invalides.
Dans les six bas-reliefs octogones [de pareille mesure], feints de lapis à fond d’or, on a peint la guerre de Flandre pour les droits de la reine ; la paix d’Aix-la-Chapelle, qui finit cette guerre ; la défense des duels ; la distribution des blés pendant la famine ; la sûreté et la police du dedans de la ville de Paris et l’acquisition de Dunkerque.
/ p. 13 / La dernière guerre est le sujet des huit plus grands tableaux.
Dans l’un [il a 20 pieds] on voit le roi méditer sur toutes les difficultés qui se pourraient rencontrer dans la guerre qu’il veut entreprendre contre les Hollandais.
Les provisions qu’il fait pour surmonter tous les accidents qu’il a prévus composent le second [il a 25 pieds].
Dans le troisième [35 pieds], il propose à ses généraux le dessein qu’il a formé, et de quelle / p. 14 / manière il prétend l’exécuter.
Le quatrième [35 pieds] représente les campagnes de Hollande.
Dans le cinquième [35 pieds, largeur 20] on voit l’Empire et l’Espagne
s’unir avec la Hollande contre le roi.
Le sixième [25 pieds] fait voir la conquête de la Franche-Comté.
Le septième [35 pieds] donne une idée de la prise de Gand, et des campagnes de Flandre.
Et le huitième [35 pieds de large sur 20] forme / p. 15 / l’image de la désunion des trois puissances par la paix de Hollande.
Tous ces tableaux sont enfermés dans de riches compartiments, et les ovales sont accompagnés de termes peints couleur de bronze, rehaussés d’or, qui portent des corniches, avec des frontons feints de marbre, sur chacun desquels sont deux enfants de coloris qui se jouent à des festons de fleurs sortant d’une corbeille, posée sur un masque coloré qui est au milieu de / p. 16 / chaque fronton. De riches tapis de velours, où l’on voit les amusements de l’enfance de ce prince, décorent l’espace entre les bordures. Au bas des tableaux, sur des cartouches de sculpture, l’on a écrit des inscriptions sur chaque sujet.
Des Victoires semblent retrousser le tapis, en intention d’y mettre à la place d’autres tapisseries d’actions plus sérieuses et plus importantes.
Voilà en gros la distribution et l’ordonnance de la / p. 17 / galerie ; mais comme l’Histoire y est traitée avec toutes ses circonstances, il faut particulariser un peu plus de choses, pour tâcher de faire mieux comprendre l’allégorie des figures qui entrent dans ce grand ouvrage. Le premier des sujets est dans le plus grand des tableaux [au milieu de la voûte, dont il tient toute la largeur] où l’on voit au milieu le roi dans la fleur de sa jeunesse. Son habit est à la romaine, avec un manteau royal qui couvre une partie du trône / p. 18 / sur lequel il est assis. Il tient un gouvernail, pour marquer qu’il commence à gouverner son État, et les trois Grâces qui le couronnent représentent les vertus que l’on voit briller dans toute sa personne. L’Amour leur donne des fleurs, et la Tranquillité se reposant au bas du trône marque celle que ce prince vient donner à son État. Des enfants figurant les Génies des divertissements s’occupent à toutes sortes de plaisirs et de jeux au bas et dans l’un des côtés du tableau.
/ p. 19 / À l’autre côté, la France assise sous un pavillon de brocart d’or tient un faisceau romain. Elle étouffe la Discorde sous son bouclier. L’Hymen, à côté d’elle, porte la corne d’abondance, et son flambeau dont elle est éclairée, parce que le mariage du roi était la principale cause de son bonheur. La Seine [rivière dont la source est en Bourgogne], couronnée de raisins, s’appuie sur son urne, d’où sortent, avec l’eau, des fleurs et des fruits qui marquent sa source, et l’a- / p. 20 / bondance que son cours porte dans la capitale du royaume.
À côté, et un peu au-dessus du roi, Minerve assise sur un nuage lui présente d’une main son bouclier en lui montrant de l’autre la Gloire prête à le couronner. Mars en l’air lui fait remarquer cette déesse qui l’attend. Le prince la regarde attentivement. La déesse lui présente la couronne d’immortalité. La Victoire et la Renommée l’accompagnent. Le Temps lève un bout du / p. 21 / pavillon, sous lequel est le roi, pour marquer qu’il a fait connaître les vertus héroïques de ce prince, auquel il fait voir par le Sable [horloge de Temps] qu’il lui présente, que l’heure est venue d’entreprendre les grandes actions qu’il a méditées et de profiter des moments qu’il fait couler en sa faveur. Les dieux paraissent dans le ciel, lui offrant leur assistance ; Pluton, ses richesses ; Vulcain, ses armes ; Cérès et Bacchus, des vivres pour ses armées. Apollon, / p. 22 / précédé de l’étoile de Vénus, vient du plus haut des nues pour éclairer ses grandes actions ; et Diane paraît pour le guider dans les ombres de la nuit. Jupiter offre son foudre. Mercure traverse les airs pour aller faire connaître ce prince à toute la terre. Junon, protectrice de la Vanité, se tourne de l’autre côté du cintre, où, regardant favorablement l’Allemagne, elle lui envoie une nuée [fable d’Ixion] qui, lui servant de trône, marque la vaine supériorité qu’elle / p. 23 / prétend sur les autres royaumes. La couronne impériale et l’aigle la font reconnaître. Son attitude est fière, son habillement pompeux. Elle tient le bâton de commandement ; et l’Espagne, à côté et un peu plus bas, semble observer ses mouvements. Elle s’appuie sur son lion qui dévore un roi des Indes renversé sur des trésors épars. Son Ambition est représentée par une femme avec des ailes, qui a la tête et les bras chargés de couronnes. Elle embrase d’un / p. 24 / flambeau qu’elle tient de la main droite les palais des malheureux princes qu’elle a dépouillés, et arrache de l’autre la couronne de l’un de ces infortunés, accablé sous le trône qu’elle a renversé. La Hollande, à la gauche de l’Allemagne, et plus bas encore que l’Espagne, est assise sur un lion qui tient les sept flèches que les Provinces-Unies ont prises pour marque de leur confédération. Elle a le trident à la main et tient Thétis enchaînée, prétendant avoir l’em- / p. 25 / pire de la mer par son commerce. On voit auprès d’elle des ballots de marchandises et des vaisseaux prêts à partir pour le voyage de long cours.
Ces trois puissances paraissent avec toutes les marques d’ambition et de fierté qui pouvaient exciter le roi à venger la France des insultes qu’elle avait souffertes pendant sa minorité, et la leur rendre plus redoutable qu’elles ne l’avaient trouvée sous les règnes précédents.
Pour remédier aux abus / p. 26 / qui se commettaient dans les finances, le roi supprima la charge de surintendant et s’en réserva le soin, pour être lui-même l’économe et le dispensateur de ses trésors, ce qui se voit dans le premier [du côté des miroirs] des quatre ovales qui entourent le tableau que nous venons de décrire. La France est aux pieds du prince, entre les mains duquel elle a remis le gouvernail. La Fidélité a son chien près d’elle. Elle tient une clef d’or, parce que ce métal in- / p. 27 / corruptible marque que rien ne la peut corrompre. Elle accompagne Minerve, qui chasse, l’épée à la main, des Harpyes qui laissent tomber en fuyant une partie de l’argent qu’elles emportent ; ce qui signifie les comptes que l’on fit rendre à ceux qui avoient pillé les finances dont ils avoient eu le maniement.
Dans le second [du côté des fenêtres], on reconnaît l’institution des Académies. Le roi est accompagné de Minerve, qui tient un plan de l’Observatoire. / p. 28 / L’Académie française porte un caducée [symbole de l’éloquence] à la main. Elle est à la tête de ses compagnes, pour lesquelles elle remercie le prince de l’honneur de sa protection.
Pour rétablir le commerce que les guerres avaient banni du royaume, Sa Majesté établit deux compagnies [en 1664] pour les Indes orientales et occidentales, donna la chasse aux pirates, rendit la mer libre pour tous ses sujets qui voudraient commercer. C’est / p. 29 / le troisième [au-dessus des miroirs] ovale, où le roi tient un trident. Des corsaires sont enchaînés à ses pieds ; un matelot porte des ballots sur le port, qui paraît couvert de vaisseaux ; et l’Abondance que l’on y voit exprime l’utilité du commerce.
Le quatrième [du côté des fenêtres] est l’image de l’ordre remis dans la justice. Elle est près du roi, qui donne le code aux magistrats. La Chicane, sous l’apparence d’une femme / p. 30 / maigre et décharnée dont le corps se termine en vis sans fin, pour signifier ses différents détours, est terrassée sous les pieds du prince, qui la vient d’étouffer par des lois nouvelles.
Dans l’un des bas-reliefs [ils sont d’azur à fonds d’or, à la clef de la voûte, au côté du tableau du milieu], la Justice présente son épée au roi. La Renommée vole, et publie un manifeste qui contient les raisons qui attirèrent la guerre en Flandre pour les droits de la reine, que l’Espagne refusait. / p. 31 /
Dans l’autre [à côté du grand tableau à la clef de la voûte], l’Espagne reçoit du roi une branche d’olivier, en signe de la paix qu’il vient de lui offrir à Aix-la-Chapelle, en rendant libéralement la Franche-Comté qu’il avait conquise en vingt jours au milieu de l’hiver. Cette province est à genoux, et entourée de canons pour la réjouissance de la paix. La Victoire couronne le vainqueur.
Les quatre ovales [du côté des miroirs, près des Campagnes de Hollande] qui / p. 32 / sont aux côtés du tableau des campagnes de Hollande, représentent dans l’un la Hollande qui fuit ; mais la France vient à son secours, arrache le bouclier de Munster qui la poursuivait. Les troupes du roi firent retirer l’évêque de Munster, et l’obligèrent de conclure la paix avec les États.
Dans un autre [du côté des fenêtres], une femme vêtue d’écarlate et suivie d’une louve signifie Rome, qui vient réparer la violence faite par les Corses à notre / p. 33 / ambassadeur, et offrir, pour satisfaire à cet attentat, de faire élever une pyramide, dont la France, accompagnée de la Force, lui montre le plan.
Le troisième [du côté des fenêtres] fait voir la France l’épée à la main, qui poursuit des Turcs effrayés et renversés. L’aigle de l’Empire chancelant se raffermit à l’ombre de son épée ; ce qui arriva à la bataille de Saint-Gothard, où la valeur d’un petit nombre de Français rassura l’Empire étonné, et / p. 34 / contraignit une armée formidable d’infidèles à faire une paix honteuse.
Le quatrième [du côté des fenêtres] nous montre l’Espagne, accompagnée de son lion soumis et rampant, parce qu’elle vient satisfaire à l’insulte que son ambassadeur avait faite au nôtre en la ville de Londres. La France a près d’elle la Force et la Justice ; elle reçoit [en 1661] la soumission et la protestation publique faite par l’Espagne de ne lui disputer jamais le premier rang.
/ p. 35 / Dans un bas-relief [à la clef de voûte, près les campagnes de Hollande], la Justice sépare d’une main les combattants, qu’elle menace de l’autre. Dans l’éloignement, des archers en traînent un en prison, pour exprimer avec quelle rigueur le roi fait observer la défense des duels.
L’autre [à la clef de voûte] fait ressouvenir de sa bonté pendant la famine. Une belle femme avec une flamme sur la tête et une corne d’abondance sous le / p. 36 / bras, nous désigne sa piété, qui fait distribuer [en 1662] du pain à des pauvres, qui semblent le recevoir avec empressement.
Les quatre derniers ovales [au-dessus des fenêtres] et les deux bas-reliefs sont autour du tableau des campagnes de Flandre. Dans l’un des quatre ovales, les ambassadeurs des nations les plus reculées viennent admirer la France, que les glorieuses actions du roi ont rendue redoutable jusqu’aux lieux qui voient lever et coucher le soleil.
/ p. 37 / Dans un autre au-dessus des fenêtres, les ambassadeurs des treize Cantons viennent renouveler l’alliance avec elle.
La jonction des mers étant d’une extrême utilité pour le commerce, le roi a fait creuser ce fameux canal de Languedoc ; ce qui se voit dans le troisième [au-dessus des miroirs], où Neptune qui est l’océan, et Thétis la Méditerranée, se joignent en signe de leur communication.
Les soldats que les longs / p. 38 / services, ou les malheurs de la guerre, avaient rendus inutiles, étaient contraints de chercher dans la charité des peuples un soulagement à leurs misères, l’extrême nécessité étant presque la seule récompense de leurs travaux. Le roi, voulant adoucir leur disgrâce et les récompenser, a fait bâtir ce fameux hôtel de Mars, où sa magnificence les entretient. C’est le sujet du dernier [au-dessus des miroirs] ovale. La Piété paraît sur un trône donnant l’or- / p. 39 / dre de Saint-Lazare aux officiers et distribuant de l’argent aux soldats. Minerve lui présente le plan de ce magnifique bâtiment, où ils sont logés.
Dès que la nuit était venue, les voleurs se rendaient maîtres de Paris. On courait risque de la vie si l’on était contraint de sortir, et les maisons mêmes n’étaient pas un lieu de sûreté. Le roi, pour remédier à ces désordres, ordonna des compagnies d’archers à pied et à cheval dans la ville, et sur / p. 40 / les grands chemins ; ce que l’on a représenté dans ce bas-relief [à la clef de la voûte], où la Justice assise sur son tribunal ordonne à des archers d’aller prendre des voleurs qui assassinent les passants au coin des rues. La Sûreté reposant à l’ombre de la Justice tient une bourse ouverte.
Dans le dernier [à la clef de la voûte] bas-relief, on a mis l’acquisition de Dunkerque. C’était le seul port qui restait aux étrangers sur nos côtes, et le / p. 41 / refuge de tous les corsaires. Le roi, voyant à regret cette place de son royaume sous une domination opposée à l’Église romaine, n’épargna rien pour l’obtenir. Dunkerque présente ses clefs à la France, qui ordonne à la Piété de répandre ses richesses que l’Angleterre fait serrer. L’Hérésie se retire.
Le roi, lassé de l’ingratitude des Hollandais, porte la guerre dans leurs États. L’Allemagne et l’Espagne, étonnées de la rapidité de ses conquêtes, s’unissent à la / p. 42 / Hollande pour s’opposer au progrès de ses armes victorieuses ; mais cette union leur fut si funeste qu’elles se virent obligées de demander la paix, et de la recevoir aux conditions qu’il plut au vainqueur de leur imposer. Cette guerre est le sujet des huit tableaux qui restent à décrire. Dans le premier, le roi animé par sa valeur à une conquête juste, délibérant en lui-même s’il la commencera, écoute sa sagesse [la Sagesse] pour surmonter par ses conseils les obstacles qu’elle / p. 43 / lui fait remarquer dans son entreprise.
Il paraît [au-dessus des fenêtres, entre le grand tableau et les campagnes de Hollande] couvert du manteau royal, sur un trône magnifique, sous un pavillon bleu semé de fleurs de lys, attaché par des cordons d’or à des colonnes d’un superbe ordre ionique. La Victoire et la Renommée l’attendent sur des nuages aux côtés d’un char traîné par deux chevaux dont l’action marque l’impatience. Mars l’invite d’y monter, en lui / p. 44 / faisant voir l’éclat de la Victoire, dont le char paraît tout resplendissant, et l’excite à une nouvelle conquête, par la vue de ses premiers trophées [ce sont des boucliers où sont les noms des villes prises en la première guerre de Flandres] qu’il lui montre ; la Justice, derrière le prince, semble inspirer un dessein si noble. Tout l’invite à marcher ; mais Minerve, assise au bas du trône, lui fait remarquer les horreurs de la guerre, qu’elle a tissées dans une tapisserie où la canicule en feu se voit / p. 45 / dans l’éloignement. Des malades expirant de peste et de fièvres ardentes sont les suites de la contagion d’un air enflammé. L’Envie a un aigle et un lion à ses côtés, pour faire connaître que les deux puissances qu’ils signifient devaient s’opposer aux desseins du roi. Un Fleuve qui soulève ses [les] flots entraîne des soldats, dont on ne revoit qu’une partie du corps ; et l’avidité d’un soldat mangeant de la terre et de l’herbe marque la faim qui le dévore sur la pente d’un ro- / p. 46 / cher glacé ; sous la forme d’un vieil homme, l’Hiver presse entre ses bras un soldat que l’excès du froid rend immobile. L’air est plein de vents et de frimas. C’est par ces images de différents obstacles capables de détruire ou de retarder une entreprise que la Sagesse, laissant agir la Valeur, fait prévoir tous les inconvénients qui peuvent tromper une ardeur inconsidérée.
Jusqu’ici le roi a paru avec un manteau royal ; mais dans les sept tableaux / p. 47 / suivants il en a un de brocard d’or, comme les portaient les demi-dieux et les héros, pour montrer que ses premières actions, toutes justes et toutes grandes qu’elles sont, n’approchent point des prodiges qui sont représentés ensuite.
Dans le second [au-dessus des fenêtres, entre le grand tableau et les campagnes de Hollande], ce monarque prépare tout pour la guerre qu’il est prêt d’entreprendre, et fait les provisions nécessaires pour remédier aux inconvénients / p. 48 / que la Sagesse lui a fait prévoir. Les dieux qui lui ont promis leur assistance lui donnent leur secours. Sur le devant, Neptune dans un char traîné par des chevaux marins, et suivi de tritons, présente son trident au roi qui est debout et qui avance la main pour recevoir le sceptre du liquide Empire.
Mars, dans son char sortant d’une tranchée, lui amène des troupes dont les chefs baissent la pique, en s’inclinant devant leur général.
/ p. 49 / Vulcain offre des armes portées par des forgerons, et c’est Mercure qui présente le bouclier, parce que l’adresse et l’éloquence fournissent les rayons dont les rois font leurs premières armes. Aux pieds du prince on voit des vases pleins de richesses, que Pluton, qui est au haut du tableau, lui vient de donner. La terrasse est couverte d’instruments et de machines de guerre. Sur des nuages au-dessus du roi, Minerve soutient un casque d’or qu’elle lui va mettre sur / p. 50 / la tête, dont le sens allégorique est que la sagesse fortifie l’entendement et empêche qu’il ne se corrompe. La Prévoyance, à côté de Minerve, montre de son compas le livre qu’elle tient, pour faire entendre qu’il a tout prévu et mis ordre à tout. Cérès vient offrir ses riches moissons. Son char traîné par des dragons est plus loin, et l’Abondance la suit. De l’autre côté Apollon [il bâtit avec Neptune les murs de Troie] semble y donner / p. 51 / les ordres, et prendre le soin des bastions qu’on élève. Dans l’éloignement on découvre un arsenal, où l’on construit avec diligence des vaisseaux et des galères. La Vigilance, comme l’âme de cette action, est dans le milieu, et la plus élevée du tableau.
Voilà de quels moyens le roi s’est servi pour faire réussir les desseins qu’il avait médités, et qu’il propose à ses généraux. Dans le tableau [au-dessus des miroirs, entre le grand tableau et les campagnes de Hollande] suivant, il y est debout / p. 52 / appuyé sur un bâton de commandement. Monsieur, Monsieur le Prince, M. le vicomte de Turenne, l’accompagnent. Minerve déploie une carte des Pays-Bas, qu’un Amour couronné de lauriers, représentant l’Amour de la gloire, tient devant eux. Wesel, Büderich, Orsoy et Rheinberg s’y voient en lettres d’or, et d’un plus grand caractère, parce que ce sont les villes que le roi veut attaquer en même temps, et qu’il ordonne aux princes d’aller assiéger ; et pour faire / p. 53 / concevoir qu’il n’avait encore communiqué ce dessein à personne, le Secret est derrière lui, et porte son casque. Près du Secret, on remarque la Vigilance ; et la Prévoyance est à côté de Minerve. La Gloire préside à l’entreprise qu’elle a inspirée, et le nuage épais qui la soutient sert à exprimer le silence, et le secret du conseil au milieu d’un camp, que l’on découvre derrière, et dans lequel des cavaliers et des soldats s’apprêtent à suivre le dieu des combats, qui paraît en l’air portant / p. 54 / un écu armorié de France. La Victoire vole déjà, d’autant qu’il y eut si peu d’intervalle entre l’entreprise et le succès que l’on sut aussitôt la prise des villes que leurs sièges.
Dans la [en 1672] première campagne de Hollande, les armées du roi ayant passé le Rhin, on prit plus de quarante places ; on remporta une grande victoire sur mer ; on battit les ennemis partout. Les États effrayés oublièrent leur ambition, / p. 55 / perdirent presque leur liberté, et les secours secrets de l’Espagne ne leur pouvant suffire, ils furent contraints d’inonder leur pays pour en empêcher l’entière perte. La seconde [1673] ne fut pas moins heureuse. Le roi emporta Maastricht en treize jours, ses troupes prirent Trèves, et ses armées navales gagnèrent deux grandes batailles. Ces deux campagnes composent le quatrième tableau, où toutes ces conquêtes et ces victoires / p. 56 / sont merveilleusement représentées.
Les plus vives couleurs font remarquer le roi la foudre à la main, les cheveux et son manteau agités par les vents, son char rapidement traîné par des chevaux fougueux. Minerve le guide, la Gloire l’accompagne, Hercule le suit, et pousse le char par-dessus les flots que le Rhin soulève. Ce fleuve, qui depuis ce fameux Romain qui s’assujettit l’empire de l’univers, n’avait point souffert de vainqueur / p. 57 /, paraît plein de courroux et de dépit de n’avoir pu, par la rapidité de son cours, arrêter ce monarque, et de se voir obscurcir par une Victoire qui vole au-dessus de lui et porte un étendard où est écrit Tolhuis, nom du lieu où ce renommé passage se fit.
L’Espagne tient un masque, pour marquer les secours secrets qu’elle donnait aux Hollandais. Elle tâche en vain d’arrêter le char, parce qu’au lieu de se jeter aux guides des chevaux, elle ne s’attache qu’aux traits, / p. 58 / ce qui sert à l’entraîner elle-même et figure la guerre qu’elle s’attira. Le char passe sur les premières villes conquises, représentées par des femmes terrassées.
L’Ambition de la Hollande mord la poussière. Ses ailes sont rompues, elle ne peut plus s’élever comme elle avait accoutumé, et un homme renversé sur le dos parmi des ballots et des livres de compte signifie le désordre de son commerce. La Liberté des Provinces-Unies, assise sur un lion qui / p. 59 / tient les sept flèches, tâche de se défendre. Elle a l’épée d’une main et présente de l’autre son bouclier, où se lit cette inscription, qui promettait tant de forces et qui fut suivie de tant de faiblesse. Les peuples paraissent dans une si grande consternation qu’ils viennent de loin présenter les clefs de leurs places. Les Renommées volent de tous côtés. Un groupe de Victoires qui se cachent et se succèdent les unes aux autres tiennent des palmes et des lauriers, et for- / p. 60 / ment en l’air un triomphe autour du vainqueur. Les plus remarquables portent quatre couronnes murales pour la prise des quatre villes en un même jour.
De l’autre côté [au-dessus des fenêtres] du tableau, l’Europe regarde le roi avec surprise. Son cheval épouvanté se cabre. Les fruits et instruments des arts qui marquent la fertilité et le génie de ses peuples sont à ses pieds. Plusieurs Victoires emportent les armoiries des villes conquises. Celle / p. 61 / de Maastricht se met seule en défense, mais Mars arrache en passant son bouclier, pour signifier le peu de temps que dura cette place, que l’on croyait imprenable. Dans un angle du tableau, deux Américains admirent ce grand spectacle. Ils ont place en ce lieu, comme témoins des victoires que nos armées navales ont remportées dans leurs îles les plus reculées.
L’Allemagne et l’Espagne, se repentant de ne s’être pas plutôt opposées aux armes / p. 62 / du roi, se liguèrent avec la Hollande pour arrêter, s’il se pouvait, la rapidité de ses conquêtes. L’Espagne leva le masque et se déclara ouvertement. L’Empereur [1674] assembla les princes d’Allemagne, mit une armée considérable sur pied, et le roi resta seul, comme il l’avait prévu, et même désiré, pour faire voir à ces puissances qui s’étaient toujours flattées que leur union serait fatale à la France, qu’elle était plus puissante, quoi / p. 63 / que seule, qu’elles ne l’étaient toutes ensemble. C’est cette union dont le cinquième tableau [au-dessus de la porte du salon de la Guerre, il occupe tout l’espace depuis la corniche jusqu’à la voûte] est composé, qui donne une admirable idée de la crainte et de l’envie qui obligèrent ces puissances à s’unir pour arrêter les progrès de la gloire d’un prince dont elles ne purent retarder les prospérités. L’obscurité règne dans le milieu, où sous un riche pavillon ces mêmes puissances se donnent la main. La Hol- / p. 64 / lande, vêtue à la mode de ses habitants, et par-dessus ornée d’un riche manteau, porte sur son visage les marques de sa désolation et de son désespoir. Pour avoir du secours, elle s’attache d’une main à l’Espagne, qui lève le masque et fait voir le dépit sur son visage. Elle tend la main à la Hollande, et l’Allemagne, assise au milieu, semble les unir et se joindre avec elles. Toute son action marque le repentir ; et l’aigle de l’Empire presse fortement avec une de ses serres une des / p. 65 / pattes du lion de Hollande, que l’on voit dans une posture souffrante pour faire connaître que les secours qu’on lui donnait lui coûtaient cher. Des Furies représentent la peine, le dépit et la jalousie dont ces puissances sont agitées. Dans le bas et dans l’un des côtés du tableau, les électeurs et les princes d’Allemagne s’assemblent. On les reconnaît à leurs écus et à leurs étendards. Un timbalier tâche d’intéresser toute l’Europe dans leur querelle, et les / p. 66 / troupes viennent de toutes parts. Dans l’autre côté on forge des armes que l’on emporte avec précipitation. Les forgerons refusent d’en livrer une partie, pour signifier le retardement que le manque d’argent apportait aux armements des ennemis. Des Renommées paraissent dans le ciel. Elles augmentent le désordre et l’épouvante par le récit des nouvelles victoires qu’elles publient de toutes leurs forces, et dans l’étendard qu’une d’elles présente, où se lit cette fameuse in- / p. 67 / scription, que César et le roi ont seuls méritée, Veni, Vidi, Vici.
La campagne de la Franche-Comté commence les conquêtes de Flandre. Le roi partit pour cette expédition au mois de février de l’année 1674. Jamais il n’y eut de fin d’hiver plus fâcheuse, et la résistance des ennemis fut le moindre des obstacles que les troupes eurent à combattre.
Le roi paraît tranquille au milieu d’un grand mou- / p. 68 / vement qui est exprimé dans le tableau [entre le grand tableau et les campagnes de Flandre au-dessus des miroirs]. Le Doubs [principal fleuve de la province] saisi de frayeur étend les bras pour s’opposer au passage. Mars traîne avec violence un grand nombre de femmes de tout âge. Ce sont toutes les villes de la province que le roi dompta comme en passant. On les reconnaît à leurs écus chargés de leurs armoiries. La Franche-Comté est abattue aux pieds du vainqueur. Malgré le désespoir qui lui / p. 69 / fait arracher les cheveux, on ne laisse pas de remarquer la beauté de son visage. Son habit est à la manière de ses habitants. Toutes les passions qui agissent sur l’esprit des vaincus sont merveilleusement exprimées dans l’action de ces captives, où la crainte, l’espérance et le dépit se remarquent en je ne sais combien de manières différentes. Sur la pente d’un rocher, Minerve présente sa pique, se couvre de son bouclier. Hercule lève sa massue pour chasser l’aigle et le / p. 70 / lion en fureur qui tâchent de défendre le sommet. Les signes des trois mois que dura cette conquête se voient parmi les frimas, la grêle, la neige et la pluie que l’Hiver jette à pleines mains en se retirant, et que les vents poussent avec impétuosité ; mais tous les obstacles de la saison, ni la résistance des ennemis ne peuvent retarder la Force conduite par la Sagesse qui paraissent au haut du rocher [c’est Besançon], ayant précipité une / p. 71 / partie des soldats qui le défendaient. L’aigle crie de dessus l’arbre où il est perché au coin du tableau. De l’autre côté, les troupes fuient, et donnent une idée du trouble et de l’épouvante que les armes du roi avaient portés dans cette province. La Victoire attache des boucliers des places conquises à un grand palmier et pose deux couronnes sur le trophée, pour marquer que c’est pour la seconde fois qu’elles sont domptées ; et la Renommée embouche deux / p. 72 / trompettes pour aller publier cette double conquête. La Gloire paraît dans le ciel ; son éclat rejaillit sur le héros, et l’opposition de cette lumière à l’obscurité des frimas rend cet ouvrage un des plus brillants qui se voient.
La campagne de 1675 fut célèbre par la prise de Cambrai, de Valenciennes, de Saint-Omer, et par la bataille de Mont-Cassel. En 1676, le roi forma plusieurs corps d’armées en Flandre, insulta quasi toutes les places, enleva Gand par une conduite / p. 73 / si admirable que le gouverneur des Pays-Bas n’eut pas plutôt les nouvelles du siège que de la prise de la ville. Voilà la matière du tableau qui fait symétrie aux campagnes de Hollande. Au milieu du ciel, le roi porté sur l’aigle de Jupiter lance la foudre. Un gros nuage, d’où partent des tourbillons de nuées, des tonnerres et des éclairs qui inspirent la frayeur aux villes que l’on voit dans la crainte, sont l’image des différents corps / p. 74 / d’armées qui les investirent. Le Secret et la Vigilance accompagnent ce monarque, les Renommées le devancent, la Gloire tient sur sa tête la couronne d’immortalité. Il ne regarde point les villes effrayées, et tient sa vue attachée sur Mars qui abat l’Hydre, et force l’Envie à se cacher dans un coin du tableau, parce qu’en domptant toutes ces places, le roi ne songeait qu’à vaincre l’opiniâtreté de ses ennemis et ne se rendait redoutable que pour les / p. 75 / contraindre à recevoir la paix qu’il leur voulait donner. À l’autre coin Ypres est tremblante. Elle écoute et regarde avec frayeur la Terreur qui la menace, et dans le milieu Minerve, qui a déjà enlevé l’étendard de la ville de Gand, lui arrache encore les clefs qu’elle tâche inutilement de retenir ; cette ville paraît dans une vive douleur. Une grande jeunesse et une extrême beauté représentent bien ce titre de pucelle que les Flamands lui ont donné, avec un parc qui / p. 76 / l’environne et un lion couronné pour sa garde. Il semble qu’elle ait glissé de dessus les genoux de la Flandre, sur le sein de laquelle elle se croyait en sûreté. Cette province porte le torquet et la mante noire comme ses peuples, et dans sa surprise elle étend les bras aux pieds du lion, sans savoir à quoi se résoudre. Valenciennes est renversée sur un de ses canons qui la fait tomber, parce qu’on s’en servit pour s’en rendre maître. Cambrai est enchaînée à un char ar- / p. 77 / morié de France, et chargé des dépouilles de cette campagne.
À l’autre côté du tableau, la Politique, le Conseil et la Prévoyance d’Espagne, paraissent déconcertées. Au milieu, le Conseil est obscurci d’un nuage qui le couvre et qui l’empêche de pénétrer dans les desseins du roi, et pour marquer son aveuglement, on lui a mis la main sur les yeux. La Prévoyance trouve son compas court, et une de ses branches rompues. Elle tire / p. 78 / en vain la Politique par sa robe, elle ne la peut secourir ni en être secourue, la force lui manque, le sceptre lui tombe des mains, et le lion qu’elle excite recule et ne veut point avancer. La Ruse, représentée par le Tigre qui s’enfuit, lui devient aussi inutile. L’aigle crie, il sent ployer sous lui les colonnes d’Hercule où l’on a attaché l’inscription Plus Outre, que prit autrefois Charles Quint. Les troupes fuient, et le Conseil, la Prévoyance et la Politique restent / p. 79 / sans secours, et hors d’état d’agir dans la frayeur que leur cause le bruit d’un évènement si extraordinaire et si peu attendu qu’une Renommée qui vole au-dessus de leur tête semble leur annoncer.
La paix de Hollande finit la galerie. [Au-dessus de la porte du salon de la Paix] C’est la désunion des trois puissances que l’on voit se lier ensemble dans le tableau qui lui est opposé. L’Allemagne paraît tombée sur des marches de marbre, / p. 80 / sous un grand pavillon attaché à la voûte. Les nuées qui lui servaient de trône se perdent et se dissipent. Elle regarde la Paix avec étonnement, et paraît surprise de la foudre qui semble gronder sur sa tête. Son aigle en est étonné, il tire la Hollande par sa robe pour tâcher de la retenir. L’Espagne tourne la tête du côté de l’éclair ; elle étend la main pour en garantir son lion qui en est renversé sur le dos. Les troupes en sont épouvantées, et fuient. Les forgerons / p. 81 / emportent leurs marteaux et laissent des armes qui restent inutiles. Mercure, en l’air, semble dissiper un nuage épais qui empêchait la Hollande de recevoir la Paix, dont il lui apporte pour signe une branche d’olivier. Cette déesse vient du ciel pour se donner à elle. On la reconnaît à son air gracieux, aux caducées qu’elle tient, à sa corne d’abondance, à sa couronne d’olivier et aux enfants qui l’accompagnent et qui jettent des fleurs pour marquer les douceurs qui la / p. 82 / suivent partout. La Hollande s’élance, et tend les bras pour la recevoir. Elle sent les besoins qu’elle en a ; son lion ne peut plus la soutenir et ploie sous ses genoux, ce qui lui fait mépriser les conseils de ses voisins et la vanité d’un prince, représentée par une femme accompagnée d’un paon, qui pour se l’assujettir tâche de la détourner de la Paix en la tirant par le bras et lui montrant des troupes et des vaisseaux qu’elle amène à son secours, mais elle ne veut / p. 83 / plus de guerre, et ne s’applique qu’à recevoir la paix.
Voilà l’explication de la galerie. Elle a 40 toises de long, et 36 pieds de large. Tout y est fini ; et dans le nombre prodigieux des figures qui la composent, on n’en remarque pas une qui ne soit terminée avec le même soin que si elle devait être seule, et qui ne fasse son effet.
Il est étonnant que Monsieur Le Brun ait pu en quatre années l’achever, ayant voulu peindre le tout lui-même, / p. 84 / et ne s’étant confié à personne, pour se faire soulager dans une si grande entreprise, qu’il a heureusement terminée à la satisfaction du roi, qui, par des louanges publiques et particulières, a témoigné qu’il n’avait jamais rien vu de si beau ; et toute la Cour, instruite des soins et du temps que demandaient les grands ouvrages, et charmée de celui-ci, dit hautement que Monsieur Le Brun méritait plus que personne du monde de travailler pour Sa Majesté, et qu’il eût fallu à tous au- / p. 85 / tres plus de temps pour penser de si grandes choses qu’il ne lui en avait fallu pour exécuter.
Auteur : Nicolas Milovanovic
© Coproduction RMN – EPV, 2008