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La Galerie de Versailles
Le changement de la chapelle de Versailles est une suite du dessein de donner à Sa Majesté, dans le palais, une galerie à la face du jardin communicable aux appartements des côtés. M. Le Brun eut ordre de s’appliquer à la décoration, en tout ce qu’il pouvait renfermer mais d’une différence heureuse dans la suite par le changement du sujet, qui a perpétué des objets dignes de la grandeur du monarque, qui a été le modèle royal sur lequel ils ont été formés et conçus. Pendant la construction de ce lieu et que l’on travaillait au marbre sur l’ordre qu’il en donna, il composa dans sa belle maison de Montmorency le dessein de la voûte, qui est de six pieds de long, à la plume et coloré, contenant en général tous les travaux d’Hercule, tous allégorisés sur les actions du roi et au sujet de la guerre qui se faisait alors contre l’Allemagne, l’Espagne et la Hollande : tous ces sujets enchâssés ensemble, avec leurs arcs, bordures et ornements, forment des variétés à l’avantage de la peinture, qu’il ne se peut rien produire de plus ingénieux dans tout ce qui concourt à l’agréable, et tous les avantages que l’on peut enfanter. Les deux cintres des extrémités sont remplis, le premier de la désolation de Troie par Hercule, qui enleva les trois filles du roi Laomédon, et l’autre ce même héros ôtant le baudrier fameux d’Hippolyte, reine des Amazones après sa défaite par le commandement d’Eurysthée. La voûte est remplie de quatre grands ovales, deux à deux comme accouplés / fol. 216 / sur la retombe renfermant quatre sujets : le combat de l’Hydre de Lerne ; la prise du cerf aux pieds d’airain et bois d’or consacré à Diane ; comme il emporta le sanglier de la forêt d’Érimanthe tout vivant à Eurysthée ; et la défaite des oiseaux stymphalides. Quatre autres sont : la défaite du lion de Némée ; de la mort de Géryon à trois corps ; le chien Cerbère enchaîné et tiré des Enfers ; et comme il cueille les pommes de l’arbre d’or, après avoir assommé le dragon.
Ce grand sujet du milieu est extraordinaire pour la composition et sa grandeur, comprenant la préparation du festin des dieux et déesses dans un palais superbe, où le sujet n’en forme qu’un des quatre, qui représente les divinités qui président aux choses nécessaires à la vie. Dans l’un est représenté Bacchus, Cérès et la Terre faisant apporter tout ce qui peut contribuer à ce festin. Dans le second est représenté le vieux océan Thétis, Protée et plusieurs tritons ou dieux marins et nymphes des eaux, une partie chargée de toutes sortes de poissons.
Dans le troisième se voit la déesse Diane dans un char suivie du dieu Pan et de plusieurs divinités champêtres chargées de toutes sortes de bêtes fauves.
Dans le quatrième se voit la déesse Junon accompagnée d’Iris et d’autres déités, dont une partie porte ce que l’élément de l’air produit de plus délicat. On peut s’imaginer la richesse de tous les ornements qui accompagnent ces sujets mêlés de tous les attributs donnés à ces divinités. Les trumeaux sont remplis de grands bas-reliefs feints de l’appui, renfermant une suite des premières actions d’Hercule. Dans les piédestaux de l’ordre feint tous les premiers sujets des exercices d’Hercule, depuis le premier du berceau, que les poètes ont décrit, qui est la mort de deux serpents que Junon avait envoyés pour lui donner la mort. Ce sujet est d’une si vaste étendue qu’il demanderait un plus long discours, ce que je ne fais pas, les idées m’étant un peu évanouies.
Le second sujet de la Galerie de Versailles
Toutes les études nécessaires étaient faites pour l’exécution de ce beau sujet qui était agréé, mais le Conseil secret de Sa Majesté trouva à propos et résolut que son histoire sur les conquêtes devait être représentée.
/ fol. 217 / Ce changement subit, qui aurait embarrassé les plus habiles génies, ayant à changer si promptement d’idées, a servi au contraire à faire juger quelle était l’étendue du génie de notre auteur, représentant des actions qui étonneront la postérité et donneront de l’occupation aux plus délicates plumes du temps.
La résolution étant prise par ce changement, M. Le Brun se renferma deux jours dans l’ancien hôtel de Gramont et produisit le premier dessin de ce grand ouvrage, qui est le tableau du milieu, qui fait le nœud principal de tout, sur lequel lui fut ordonné d’en continuer la suite sur ces mêmes principes et ces belles lumières avec cette prudente restriction de la part de M. Colbert de n’y rien faire entrer qui ne fut conforme à la vérité, ni de trop onéreux aux puissances étrangères que cela pourrait toucher, ce qui est exécuté d’une manière si savante qu’eux-mêmes intéressés en faveur de leur patrie, les voyant ou entendant ce récit, sont charmés de la beauté et de la noblesse de ce langage pour perpétuer à la postérité les actions des grands rois, subsistant toujours et même ne restant point sujets au changement et toujours chéris des savants.
Le nœud (commeest dit) de cet ouvrage qui est le tableau du milieu ne donna pas peu à redire aux critiques du temps ne pouvant comprendre le fil de son économie, commençant une galerie par le milieu. Il est bon de dire par avance que les deux salons qui sont au bout de cette galerie, par lesquels les deux appartements du roi et de la reine sont communicables, sont décorés l’un des sujets de guerre et le second de la paix, ce qui en fait remarquer l’imagination encore plus singulière.
Ce premier sujet occupe tout le cintre de la galerie, les deux oreillons ou demi-cercles de la bordure est posé sur un socle régnant sur la corniche sans ressaut et orné à chaque milieu de deux sphinx de sculpture dorée, qui servent de support à un grand cartouche sur lequel se lit l’inscription de ce sujet.
Il est enfermé de quatre grands morceaux d’architecture feinte, élevée et sur la corniche et le solide d’en bas, et d’ordre composé des termes feints de bronze rehaussé d’or, supportant une corniche couronnée d’un fronton, interrompu d’un masque supporté sur un cartouche ailé et de bronze. Ces masques supportent des paniers / fol. 218 / de fleurs et fruits, d’où partent des festons que des génies sur les frontons attachés sur les bandeaux de la voûte, et retombant de part et d’autre le long, et sont soutenus différemment des termes, et rattachés sur le haut d’un grand ovale renfermé et soutenu de ces termes remplis de sujets particuliers. Les piédestaux sont ornés de riches consoles appliquées sur le dé pour supporter la corniche en ressaut, sur lequel sont les termes, et leur espace est enrichie sur le nœud de l’architecture régnante de riches festons de feuilles de chêne et de lauriers feints de bronze, attachés au bas de la bordure ; et entre ces festons, pendant de part et d’autre, sont placés des riches boucliers sur lesquels se lisent des inscriptions, et sur les angles des piédestaux, aux pieds des termes, sont placés des riches casques d’or ou feints de métal. À côté de ces trumeaux suivent quatre grands tableaux, en face les uns des autres, encadrés de riches bordures posées sur le socle régnant, demi-cintrés par le haut de la troisième partie de grosses roses, ou rouleaux d’or accouplés par des feuilles de lauriers de bronze et finissant en grandes feuilles servant de naissance à cette bordure, laquelle est ornée dessus de deux grandes ailes de bronze, portant sur le milieu un riche casque d’or placé sur deux trompettes croisées de métal. Sur la ligne droite de la bordure de part et d’autre sont placés des riches trophées d’armes d’or, tous différents, en partie appuyés sur le demi-cintre, et le plafond, du dessus de l’angle carré, est rempli et partagé d’un grand cadre rond renfermé dans un carré orné, dans les vides, de palmes de bronze doré sur un fond de marbre, et le rond est rempli d’un globe couronné, surmonté d’un chef de soleil rayonnant, avec sa devise, et le globe est supporté des lettres doubles du nom de Louis le Grand, entrelacées de branches de lauriers rehaussées d’or. Le grand cadre est soutenu par une manière de clef, composée de corne amalthée rustique renfermant une tête sèche de bélier et finissant un grand feuillage pour soutenir et lier les autres sujets régnant dans la voûte.
Ces tableaux sont suivis d’autres trumeaux, de pareille symétrie au premier, moins larges selon le solide d’en bas, et décorés des mêmes ornements, mais tous différents, n’y ayant que les corps d’architecture et les ornements qu’ils renferment de semblable.
/ fol. 219 / Suivant toujours l’étendue de part et d’autre, deux grands tableaux à oreillons sont placés dans la voûte, les angles droits posés sur la corniche feinte, qui fait la même figure que les oreillons, paraissant faire un demi-cercle renfoncé dans le corps du bâtiment. Au-dessous de ces oreillons est élevé sur un solide un attique renfermant une ouverture ou fenêtre ovale feinte, et saillant dans son courbe, ornée aux côtés d’un solide rempli de canaux couronnés d’une corniche à gros godrons et qui s’élève de l’angle droit en demi-cercle console finissant, au milieu, en deux grosses roses, d’où tombe un gros feston de feuilles de lierre feint en bronze, et le milieu de ces roses est rempli d’un grand mufle de lion, dont les pattes suivant le contour, paraissent saillantes en l’air et le mufle servir de clef à cette ouverture ovale en supportant un gros nœud de coquilles de bronze armée qui embrasse une partie des oreillons de ces tableaux pour les soutenir au plafond.
Sur la corniche est placé un grand cartouche orné aux côtés de deux griffons de stuc doré, et un grand trophée de toutes sortes d’armes placé au-devant de l’ouverture, tous les quatre différents. Sur l’angle droit du corps qui renferme cette ouverture, sont placés des faunes en différentes attitudes, ornant ces tableaux de grands festons de fleurs entremêlés de toutes sortes d’armes ou de tapis, qui occupent en l’air les espaces d’entre ces corps des milieux ; et les massifs des côtés d’où ces festons prennent naissance étant soutenus par des gros cordons liés aux termes de bronze. Ces mêmes espaces sont aussi remplis de Victoires volantes et d’enfants ; et au-dessous des satyres, sont placées des Renommées assises sur partie des armées du trophée du milieu, les uns écrivant sur des boucliers les sujets représentés, et les autres tenant des trompettes et des couronnes de lauriers.
Ces tableaux, comme les précédents sont suivis, ou renfermés dans ces masses d’architecture tous différemment ornés. Cette architecture régnante suivant les ressauts fait un retour dans le fond formant un cintre en berceau, qui renferme les sujets des deux fonds et d’où paraît tomber et attacher de riches étoffes en pavillons retroussés par des gros cordons, servant de fond aux sujets qui y sont représentés et qui ont liaison par des nuages roulants, et des figures, qui sont au plafond dans / fol. 220 / des percées enfermées d’un cadre barlong pareil au carré des derniers. Les angles sont remplis de figures feintes de bronze qui paraissent se cacher sous les replis tombants de tapisseries soutenues des Victoires, qui y sont représentées, les voulant attacher aux termes qui terminent à ces angles. La corniche est décorée, par des distances différentes selon la distribution des sujets, de riches trophées de stuc doré, et d’enfants à côté assis sur des cornes amalthées remplies de fruits dorés, dont l’opposition à ce qui est de couleur fait une richesse très agréable, sans parler des lumières feintes et supposées de tous les percées, ce qui produit des effets très avantageux pour détacher tous ces grands sujets ; ceci et l’ordre à la composition en général, que j’ai cru devoir exposer pour en faciliter l’idée à ceux qui seront privés de les voir, et crainte d’ennuyer le lecteur, il est temps d’entrer dans le détail de tous ces tableaux principaux, pour y voir une partie des faits de Louis le Grand, et le génie de M. Le Brun.
Le tableau du milieu
Commençant toujours par celui du milieu, le roi y est représenté assis sur le bord du lit d’or à l’antique richement orné, et placé sous un riche pavillon ; il s’appuie d’une main sur un timon de navire symbole du gouvernement. Les trois Grâces sont à son côté et derrière sa personne occupées à la couronner de fleurs : ce qui marque l’heureux temps de son mariage par le dieu Hyménée, qui est auprès de lui avec ses attributs, lequel a redonné la paix et la tranquillité dans son royaume dépeinte par une femme agréable assise au bas de Sa Majesté tenant une grenade en main ; la France heureusement gouvernée de ce prince suit sur le devant près du dieu Hymen assise sur des armes, et appuyée sur un bouclier fleurdelisé, tenante une branche d’olive en main pour symbole de la Paix, après avoir abattu la Rébellion et la Discorde qui sont sous ses pieds. Dans ces temps, jouissant d’un vrai repos, qui donna lieu aux beaux-arts et aux plaisirs de renaître. Les uns et les autres sont représentés sur les degrés de ce trône par des jeunes enfants occupés à toutes ces choses différentes, et le fond est rempli de bâtiments superbes, fontaines, et jardins. Toutes ces choses / fol. 221 / différentes, ayant à proprement parler paru sur les bords de la Seine, qui fait une partie de la beauté à cause de l’abondance de la plus fameuse ville du monde ; elle est représentée proche et au bas de la France, sous la figure d’une femme agréable appuyée sur une urne, et tenant une corne amalthée d’or remplie de toutes sortes de fleurs et de fruits, dont elle est aussi couronnée pour marquer la fécondité qu’elle cause dans son cours ; mais comme tous ces sujets d’arts et de plaisirs ne sont pas toujours suffisants pour occuper ni remplir les grandes âmes, Minerve est représentée un peu assise sur un des nuages au côté du prince, tenant un bouclier luisant qui en reçoit l’image pour signifier que la prudence royale, réfléchissant sur les sujets dignes des grands rois, a toujours eu la Gloire en vue ; et pour but, Minerve lui montre le ciel ouvert, et cette déesse qui lui offre une couronne d’or brillante de lumière, et qu’elle est accompagnée et environnée de toutes les divinités qui ont le pouvoir de contribuer aux actions héroïques : Jupiter de sa puissance par la foudre ; Junon de son autorité et de sa surintendance que son sceptre lui a donnés sur les airs ; Neptune sur les eaux ; et Pluton les richesses qu’il renferme dans les entrailles de la terre ; Hercule de son courage et de sa force ; Vulcain du ministère de ses feux ; Diane de ses influences ; Cérès de ses fécondités fructifiantes ; Mars, lui montrant la gloire, lui promet de l’animer de son courage pour acquérir cette riche couronne ; et le Soleil semble s’avancer, précédé de l’étoile matinale de Vénus, pour lui servir de guide et éclairer ses grandes actions qu’Alexandre a toujours souhaité pour témoin des siennes. Dans ce moment Saturne paraît en l’air levant un des pans du riche pavillon comme lui signifiant par le sable, qu’il porte, qu’il est l’heure, et le temps marqué des destinées pour les exécuter ; et le message des dieux et des héros, la trompette en main paraît dans le vague de l’air pour publier ses dispositions de l’esprit, des vertus et des desseins de ce prince dans l’étendue de l’univers et surtout aux nations et peuples qui ont eu à redouter comme ils l’ont éprouvé sa valeur et sa puissance.
Or, les sujets qui peuvent émouvoir les rois et les / fol. 222 / hautes entreprises sont des voisins ennemis et jaloux de la puissance, de la richesse et de la tranquillité de leurs royaumes. Celui de la France a ressenti en divers temps les effets de leur ambition jalouse et l’ingratitude de ces voisins, dont les objets hiéroglyphiques sont renfermés dans ce même tableau de l’autre côté du cintre sous la figure de trois femmes superbement vêtues.
L’Allemagne en chef dans une contenance fière, assise sur un nuage, et son aigle à côté, dont les ailes étendues semblent mettre l’Espagne et la Hollande sous sa protection.
Ces deux dernières puissances sont assises plus bas de part et d’autre à ces côtés l’Espagne à la droite appuyée sur un puissant lion qui dévore un roi des Indes tombant entre des vaisseaux d’or et d’autres richesses ; pour marquer ce que cette nation a exercé chez les peuples se rendant maîtres de leurs pays, les dépouillant de tous leurs biens, portant partout le feu et la flamme, ce qui est dépeint par une figure ailée représentant l’Ambition arrachant d’une main la couronne d’un autre prince renversé ; et mettant de l’autre le feu à un palais qui se réduit en cendres ; ce qui s’est passé en la personne des rois du Mexique et d’Atalipa.
La Hollande le trident à la main est assise sur des ballots de marchandises, appuyée sur un lion armé dans ses pattes de sept flèches, et dans un mouvement de s’élancer, et garder ces ballots de marchandises, pour dépeindre, que cette nation a prétendu depuis son établissement pour le commerce, l’interdire et empêcher par sa puissance aux autres nations sur les mers, ce qui est représenté par une figure de Thétis qu’elle tient enchaînée, et dans le fond paraissent des vaisseaux armés et que l’on équipe pour marquer sa puissance maritime.
Ces sujets généraux de ces nations ont été par intérêt d’État les objets, qui ont mû Sa Majesté, pour le bien de ses peuples, à ce qui a été entrepris depuis pour les mettre à couvert des entreprises de ses anciens ennemis.
L’Ordre dans les finances
Une des premières choses auxquelles Sa Majesté s’est appliqué en prenant le timon du gouvernement / fol. 223 / de son royaume a été de rétablir en ordre ce qui manquait dans les finances, comme le nerf, et le fondement d’un État, et des hautes entreprises qu’il méditait.
Ce sujet est un des quatre représentés dans les ovales renfermés dans les grands morceaux d’architecture, qui renferment ce tableau principal, comme j’ai marqué. La France y est assise au bas du trône de Sa Majesté à laquelle elle expose les plaintes causées par les malversations, et la dissipation des finances, par ceux qui en avaient le maniement. Minerve est en l’air, poursuivant l’épée à la main des harpies volantes qui laissent tomber des sacs remplis de monnaie, ce qui désigne la poursuite faite contre ceux qui avaient rempli leurs coffres, en contrevenant aux lois et foulant les peuples ; la Fidélité y est représentée de l’autre côté, tenante une règle et un livre, qui représente le ministre auquel a été commis depuis le soin et l’économie de ces trésors, dont le roi s’est réservé l’entière connaissance et la distribution signifiée par une clef d’or qu’il tient.
Le Rétablissement du commerce
Le second représente sa puissance royale par le rétablissement de ce qui concourt à rendre un État riche et redouté de ces ennemis, qui est la puissance maritime. Sa Majesté est représentée assise sur un trône, le trident de Neptune en main, qui est le symbole de la puissance sur les mers avec lequel il soumet les corsaires enchaînés, pendant que l’on charge des vaisseaux. L’abondance, représentée auprès du trône, semble présider dans les projets, pour exprimer que le gouvernement du commerce en divers lieux du royaume produit des richesses en abondance, pendant que le prince assujettit ceux qui osent entreprendre de le troubler.
La Réforme de la Justice
Ces choses bien que grandes pour le bien et l’utilité des peuples est suivie pour le dedans du royaume de la réformation de la Justice, ce qui est représenté dans l’un des deux autres sujets opposés.
Le roi est assis sur son trône, le sceptre à la main, / fol. 224 / la Justice debout à son côté tenant la balance, et un faisceau lié, ensemble, symbole de l’autorité des rois, des empereurs et des consuls qui ont précédé dans les siècles passés.
Au-devant de ce prince sont représentés des vieillards et jurisconsultes, qui reçoivent avec respect un livre, que Sa Majesté leur présente contenant les règles, qui se doivent observer dans le royaume, pour empêcher les vexations d’une infinité de particuliers chicaneurs, dont les procédures ressemblent à une vis sans fin, ce qui est figuré par une femme sèche, et hideuse à voir, et renversée sous le trône dévorant des sacs de papiers qui lui entretiennent son feu.
La Protection des arts
Le quatrième sujet représente l’amour que Sa Majesté a toujours témoigné en faveur des lettres et des beaux-arts, comme les ornements, qui distinguent les royaumes au-dessus de ceux qui en méprisent les pratiques, tels que l’on a vu autrefois des peuples nommés barbares en comparaison des Grecs, et des Romains, qui les ont eus en grande estime. Le roi y est assis ; et l’Éloquence au-devant de lui en action de le remercier de ses bienfaits et de la glorieuse protection dont il honore tous les savants des corps, sur lesquels Minerve préside en général. Cette déesse y paraît debout à son côté paraissant avoir amené avec elle toutes les nymphes du Parnasse, pour lui rendre leurs hommages.
Je marque ces choses premières comme les quatre colonnes que Sa Majesté a premièrement fait construire et établir ; et pour donner une idée de l’économie de M. Le Brun, ayant su de lui que son dessein avait été tel, de les représenter autour de ce grand tableau du milieu, devant que d’entrer dans celle des plus grandes actions qui ne sont que suivantes.
Le Conseil
Sa Majesté pour raisons d’État et secrètes formant en elle le projet de porter ses armes dans la Hollande, pour abattre l’orgueil de ces peuples et les punir de leur ingratitude, prit comme on / fol. 225 / peut préjuger des mesures justes, et d’une mûre délibération. C’est le sujet premier d’un des quatre grands tableaux, qui suivent l’ordre que j’ai décrit et par où il faut commencer.
Sa Majesté est assise sur un trône placé dans un péristyle de colonnes orné d’un grand rideau de broderie d’or, retroussé de gros cordons. Minerve auprès de lui, un peu sur le devant est pareillement assise, et de l’autre côté Mars debout. Ces deux divinités ainsi représentées dépeignent la prudence des rois, qui les fait agir dans des justes entreprises, et par Mars, cette noble ardeur qui les anime.
L’ancien, et savant Homère a laissé dans ses œuvres des traits, qui expriment la distinction que l’on doit faire de ces deux facultés, prudence et valeur, par l’opposition qu’il a décrit être toujours entre ces deux divinités. Ici Minerve non seulement comme symbole de la prudence, mais encore maîtresse des arts, et l’inventrice de la tapisserie représente dans une grande pièce, qui est tendue à un des côtés du tableau en face, tous les malheurs de la guerre à la vue du roi qui sont en chef : ce que les princes sages et prudents prévoient au commencement de leurs entreprises. Dans le haut de cette tapisserie paraît Vulcain comprimant le feu des airs par lequel sont causées des fièvres pestilentieuses suffisantes pour détruire des armées entières ; des sécheresses, et aridités, qui causent en terre des stérilités suivies de famine, exprimée par des soldats mangeant de l’herbe faute d’aliments à l’usage de l’homme, et pressant ce qui les couvre ; pour exprimer le peu d’humidité procédant de leurs corps, pour apaiser l’ardeur insurmontable de la soif des effets opposés tels que des frimas et des neiges représentées autour d’un vieillard, qui est le Froid, serrant un soldat mourant entre ses bras, pour exprimer la rigueur de cette saison, des torrents débordés où d’autres se noient dans leurs ondes roulantes et impétueuses ; et au milieu d’un champ stérile, une Envie, un aigle et un lion confusément assemblés pour signifier, que non seulement il aurait ces pre- / fol. 226 / miers maux à craindre ou à surmonter, mais qu’il aurait en chef ses fiers ennemis à combattre figurés par ces hiéroglyphiques.
Mars de l’autre côté et opposé aux inductions de cette déesse montre à ce prince plusieurs boucliers sur les degrés du trône, qui portent les écussons des places conquises dans la première guerre ; et un superbe char d’or attelé de deux fiers coursiers semblant l’inviter de monter dedans pour suivre la Victoire, qui est prête à le couronner ; et des Renommées comme en repos, n’attendant que sa détermination pour publier sa gloire.
Pendant cette contestation mystérieuse la Justice est assise sur un nuage à côté du prince, l’épée et la balance en main, semblant peser les sujets et les raisons de ces deux divinités contraires. Ce conseil royal et secret caractérisé de cette manière fit témoigner à Sa Majesté ces paroles lorsque M. Le Brun lui expliqua le dessein en l’honorant de lui toucher sur le bras : « M. Le Brun, vous m’avez fait voir des choses que j’ai ressenties », ce qui n’est pas difficile à croire, puisque quelques particuliers ont vu ce monarque, ayant donné le signal du passage du Rhin, se retourner ayant vu tant de noblesse et tant de braves soldats s’élancer d’un courage intrépide, et sans crainte au milieu des ondes, dont le spectacle lui fit couler quelques larmes, et a honoré ainsi la mémoire de ceux en général qui ont péri.
Armement de terre et de mer
Gravé du Sr Simonneau l’aîné
Sa Majesté s’étant déterminée par raison d’État à entreprendre une guerre aussi rude que de longue durée a fait paraître que c’était un prince très éclairé et prudent : ce qui est remarquable dans le second tableau de même côté ; il y est représenté en pied sur le rivage de la mer, couvert d’une armure d’or, réservé le chef, la Prévoyance à son côté droit assise sur un nuage, le livre et le compas à la main, pour signifier les justes mesures qu’il a pris en formant ses projets. Il présente la / fol. 227 / main droite à Neptune, venant à lui sur une conque tirée par deux chevaux marins et suivi de tritons chargés des choses précieuses que produit l’Océan ; et lui montre que ces flots seront favorables à ses souhaits et ses vaisseaux destinés sur tout ce liquide élément.
Ce même ordre de prévoyance lui ayant marqué la nécessité de la fabrique continuelle des armes, Vulcain est représenté de l’autre côté lui faisant apporter un faisceau de cuirasses, de piques, et d’épées, suivi de Mars dans un char attelé de deux fiers chevaux sortant d’une tranchée, lui amenant des officiers, et des soldats, pour signifier les soins que Sa Majesté a pris pour faire exercer la noblesse française aux leçons et aux fatigues de la guerre pendant plusieurs années. Apollon paraît au-dessus en l’air présidant sur les fortifications des villes, et donner ordre à leurs constructions, auxquelles on travaillait, ce qui est dans le fond du tableau.
Pluton, que les poètes feignent le maître des trésors, paraît sur des nuages, montrant plusieurs vases remplis de monnaies, mêlés parmi des instruments de guerre, et de ceux, qui servent à remuer la terre représentés sur la terrasse au bas de Sa Majesté et de l’autre côté Cérès en l’air, la faucille à la main suivie de l’Abondance, et de son char attelé de deux grands dragons ailés et chargé de blé, lui montre les secours qu’il apprête pour fournir à l’entretien de ses armées.
Tous ces incidents figurés, qui signifient ensemble les préparatifs de tout ce qui concerne la guerre tant par mer que par terre, sont dépeints par une seule action représentée par une Minerve assise sur un nuage un peu derrière ce prince, en action de lui armer le chef du casque d’or crêté d’un riche panache dans le temps que Mercure lui met le bouclier au bras gauche.
Plus haut se voit la Vigilance tenant un coq / fol. 228 / et l’éperon d’une main, et de l’autre un sable qu’elle montre ; pour marquer que c’est elle, qui préside à tout pour répondre aux précautions, et aux mesures de la prévoyance royale : ce qui paraît encore dans le fond du tableau par des fabriques de toutes sortes de vaisseaux que l’on construit et les provisions que l’on voiture pour les places et les armées.
Ce grand conseil, et les précautions prises, et suivies par ce qui a été exécuté depuis, tel que le fameux Passage du Rhin, dont je devrais parler, pour suivre une manière d’ordre. Je le laisse pour ne point interrompre celle que je me suis proposé d’aller de rang en parlant du troisième de même grandeur que ceux ci-dessus.
Le Siège des quatre places en Hollande
Sa Majesté y est représentée debout armée entre trois personnes pareillement en pied ; la première représente Monsieur frère unique du roi, le prince de Condé et le vicomte maréchal de Turenne auxquels Sa Majesté propose le dessein qu’elle avait de faire attaquer quatre places dans la Hollande en même temps pour faire l’ouverture de la campagne leur marquant son dessein sur un plan géographique, que Minerve présente assise sur un nuage et soutenue de l’Amour de la gloire. La Prévoyance, qui accompagne ce prince en tous lieux est assise auprès de lui et la Vigilance en l’air et la Victoire qui le devance est précédée de Mars portant un bouclier fleurdelisé, ces figures hiéroglyphiques étant les armes qui animent et font mouvoir cette grande armée, dont les camps ; qui se voient de part et d’autre de la tente du roi paraissent remplis d’une infinité de guerriers poussés de cette ardeur martiale, se préparant tous en général à suivre et exécuter les ordres de ce prince. Auprès du roi est représenté un jeune enfant, le front orné d’un bandeau d’or, ayant un sphinx sur la tête, et le doigt posé sur la bouche, soulevant de l’autre main le casque royal ; par lesquelles figures est représenté le secret de ces hauts desseins qu’il faisait / fol. 229 / seulement connaître à ceux qui recevaient les ordres.
Je peux remarquer ici en passant une délicatesse du génie de M. Le Brun, représentant les princes dans cette conférence guerrière, qui se passe dans la tente du roi et sur quelques degrés, qui sont devant. Monsieur est sur la même ligne que Sa Majesté. M. le prince sur le second degré, avec cette distinction qu’il a le pied gauche levé et posé sur les premiers pour marquer son rang, étant du sang royal ; et M. de Turenne à la gauche du roi dans la situation naturelle ne fait pas la même, et est seulement sur le même degré de ce prince.
Ces choses qui semblent de peu, sont cependant de grande considération, lorsqu’il arrive, que l’on représente de pareils et semblables sujets.
Conquête de la Franche-Comté
gravée par Simonneau aîné
Le roi à la tête des armées ayant conquis la province de la Franche-Comté ; ce sujet fait celui du quatrième tableau du rang du même côté du dernier. Sa Majesté est représentée armée, le casque en tête, un bâton de commandant sur lequel il s’appuie et qu’il pose sur le fleuve du Doubs, qui paraît comme effrayé, se sentant soumis sous l’autorité et la puissance de ce prince invincible, dans le moment que la force Mars amène aux pieds du roi plusieurs femmes en pleurs, dont une partie implore la clémence du prince, et représentent les villes de cette province figurée par une principale, qui a un bandeau de perles qui lui présente des clefs d’or comme à son vainqueur. À côté du roi, et un peu sur la seconde ligne dans le tableau, paraît un Hercule symbole de la Valeur héroïque, qui monte sur un rocher la massue à la main, et la dépouille du lion sur le bras gauche, il est accompagné de la Valeur guerrière sous la figure d’une Minerve l’égide sur le bras gauche et le javelot en main attaquant l’une et l’autre un lion redoutable et furieux, qui paraît à demi sur la cime d’un roc qu’il veut défendre, et plusieurs soldats.
Ces sujets représentent l’Espagne et le roc, la / fol. 230 / forteresse de Besançon, et les difficultés qu’il fallut surmonter pour s’en rendre les maîtres, ce qui arriva par la valeur française dépeinte par ces deux figures, qui combattent et renversent de dessus le rocher, ce qui était commis à la défense, représenté par ces soldats renversés, et les autres qui se mettent en fuite de l’autre côté de la roche. Ce n’était pas seulement ces ennemis qu’il fallait surmonter, mais encore la rigueur de la saison représentée en cette manière : au-dessus de ce rocher paraît un vieillard chenu à demi-couvert du manteau blanc, pour exprimer l’hiver qui était si favorable aux assiégés, il presse des grêles et des frimas, et poussant encore le signe du taureau pour marquer les effets qui arrivent alors, et en l’air, paraissent dans des nuages épais des figures soufflantes, qui portent les deux poissons et le bélier, le tout mêlé de grêle, d’eau, et d’éclats de tonnerre, comme il arriva dans ce temps, ce qui exprime les effets, et les incommodités de la saison, pendant les trois mois qui furent employés à conquérir cette province, lesquels tout incommodes et fâcheux qu’ils ont été, n’ont à proprement parler servi qu’à rendre la gloire du roi plus éclatante, ce qui est dépeint par l’opposition de ces sujets obscurs et pluvieux d’un côté, et de l’autre paraissant au-dessus du roi, un ciel entrouvert, d’où la Gloire de son cercle d’or est prête à couronner ce prince, pendant qu’une Renommée brillante de lumière plus bas, embouche deux trompettes pour publier cette grande expédition, pour laquelle en laisser la mémoire éternelle une Victoire volante attache deux couronnes de laurier à un haut palmier pour désigner à la postérité qu’elle a été conquise deux fois par les armes de Louis le Grand, et au bas de ce palmier se voit un trophée de plusieurs armes entassées pour en marquer le triomphe, ou la dépouille des ennemis de cet État. Sa Majesté ayant gardé par droit de guerre dans le traité de paix, de / fol. 231 / l’autre côté est représenté la fuite et la terreur des armées ennemies par une grande figure tudesque et fuyante à l’aspect de Sa Majesté ; ou plutôt l’abandon des cantons qui se détacherait des intérêts de cette ligue, et l’impuissance de l’Empire pour le secours de cette province marquée par un aigle les ailes ouvertes, et croassant comme les corbeaux perchés sur un vieil tronc d’arbre.
Le Passage du Rhin
Remontant à la voûte du côté gauche regardant en face le tableau du milieu, le sujet du Passage du Rhin y est dépeint de cette manière. Le roi y est représenté le foudre à la main assis sur un char d’or tiré par deux chevaux, qu’il conduit passant sur des flots et comme en l’air ; et par-dessus plusieurs figures renversées sur le bord du fleuve, chacune tenant des boucliers, portant les armes des villes conquises sur les Provinces-Unies. Le char est poussé par Hercule d’une main, tenant de l’autre sa massue, ce qui cause de la terreur, et de l’épouvante au vieillard représentant le fleuve du Rhin, qui laisse tomber son gouvernail de frayeur. Il est à demi obscurci de l’ombre d’un grand étendard, que porte une Victoire volante au-dessus, et sur lequel est écrit le nom de l’endroit de ce fameux passage qui paraîtra dans les siècles futurs un sujet plus éclatant et mémorable que ceux qui ont précédé ce prince. Ce que M. Depreaux a si élégamment exprimé dans ses œuvres. Entre les figures tombantes sous le char, il s’en remarque trois principales, qui dépeignent, la première l’orgueil de ces peuples par une figure, dont les ailes sont en partie arrachées, et laissant tomber des couronnes ; son commerce, par une autre tombant à la renverse entre des ballots de marchandises, sacs de monnaie répandus, et des livres de compte ; la troisième figure, la puissance maritime aussi désolée tombant entre des ancres de navires, et des voiles rompus ce qui dépeint le désordre de leurs armées navales, la perte de leurs principaux officiers et celle de Ruster[Ruyter] arrivée dans la suite.
/ fol. 232 / Au-devant des chevaux est représentée la Hollande armée, et assise sur un lion, semblant vouloir, toute saisie de crainte quelle est l’épée à la main s’opposer à ce passage, le bouclier sur le bras portant cette devise impérieuse contre les souverains ; pendant que l’Espagne représentée sous la figure d’une femme vêtue richement, se met en devoir d’arrêter la course de ces chevaux, en se saisissant des traits d’une main, et de l’autre portant un masque au-devant de son visage, par lequel est dépeint les pratiques et les secours qu’il fournissait secrètement aux États de Hollande qu’il entraîna dans une guerre ouverte, qui ne lui a été que préjudiciable. À la suite de la Hollande paraissent des vieillards représentant les principaux des villes de ces peuples, qui se soumettent à la majesté, lui présentant des bassins d’or chargés de clefs.
En l’air paraissent plusieurs figures volantes, qui devancent ce héros ; Minerve plus proche guide les coursiers, montrant au prince l’objet de son entreprise, et la Gloire entre deux, plus haut tient une couronne prête au-dessus de Sa Majesté et de l’autre main une sphère céleste. Ces figures sont précédées de plusieurs Victoires mêlées tenant des palmes, et paraissent voler comme des vents impétueux, pour exprimer la rapidité de ces conquêtes ; et entre autres, s’en voit une, remarquable à son air et le brillant de ses vêtements tenant quatre couronnes, et semblant passer devant, pour en couronner le prince aux quatre villes qui furent attaquées et prises en même temps : Orsoy, Wesel, Büderich et Rheinberg.
Dans l’autre partie du tableau, qui fait le cintre, se voit une femme armée demi-trébuchante sur les genoux, l’épée à la main, son casque tombant par l’effort d’un Mars en l’air, qui lui enlève en passant son bouclier, par laquelle est représentée la prise de la ville de Maastrich qui arriva contre l’opinion des ennemis en 13 jours de tranchée ouverte. D’autres Victoires paraissent au-dessus en l’air, et sur des nuages, portantes des boucliers symboles de la défense des villes conquises / fol. 233 / désignées par les armes, qui sont dessus, et des Renommées mêlées sonnantes de la trompette, pour publier ses actions dans l’univers qui ont particulièrement causé l’admiration de l’Europe ; cette noble partie du monde est représentée dans le milieu du tableau sous la figure d’une femme armée, et noblement couverte d’un grand manteau bleu, ayant auprès d’elle plusieurs instruments des arts ; et toute sorte de fruits, pour marquer son abondance, et sur son manteau la couronne impériale renfermée dans cette partie du monde ; elle est en admiration, signifiée d’une main ouverte, tenant de l’autre les rênes du cheval qui lui est attribué pour son ardeur guerrière, qui pourrait se cabrer comme épouvanté à la vue de ces choses, qui ont passé même chez les Indiens occidentaux dans ce temps ayant été les témoins des victoires remportées sur leurs côtes des armées françaises par la prise de l’île de Tabaquo [Tobago].
Ce tableau est soutenu, comme il est marqué dans l’ordre de la distribution de l’architecture par des Faunes, qui détachent des tapisseries, sur lesquelles sont dépeintes les premières conquêtes du roi, et plaçant de nouveaux festons pour décorer les cadres de ce tableau pendant que des Renommées historiques plus bas, sont occupées à décrire sur des boucliers cette grande action qui se passa et l’ovale feint percé et rempli d’enfants portant des armes comme étant les dépouilles des ennemis, pour en charger les superbes trophées qui sont au devant ce qui forme ensemble une grande et riche composition.
Quelques savants demandèrent un jour à M. Le Brun pour quelle raison il faisait soutenir ses tableaux par des Faunes mêlés de ces agréables Filles ; il s’expliqua en peu de mots, que c’était pour représenter l’union des vertus célestes lesquelles de concert avec les terrestres causent l’harmonie de toutes les actions des hommes en général, et de ceux qui se distinguent par leurs hauts faits pour se nommer héros des anciens, / fol. 234 / et que cela était dépeint par la figure de Pan, qui portait sur sa poitrine tous les signes du Zodiaque. Ce peu d’explication ne laissa pas de faire juger de quel caractère était l’esprit de M. Le Brun lorsqu’il renfermait quelque chose peu ordinaire dans ses sujets.
Ce tableau, selon l’ordre d’écrire, est soutenu d’architecture qui renferme les ovales où se voient peints quatre sujets distribués en cette manière.
La Satisfaction de l’Espagne
Le premier, selon l’ordre des temps, est celui, qui représente la prééminence, ou le pas cédé par l’Espagne à la France, figure par deux femmes couvertes d’habillements royaux, l’une représentant la France, et la seconde l’Espagne, dont le lion, qui lui est attribué paraît se courber en approchant et comme soumis auprès de la France, dans le moment que cette figure exprime sa soumission en présence de plusieurs spectateurs entre lesquels était M. le nonce du pape accompagné des ambassadeurs étrangers.
La Satisfaction des Corses
Le second du même rang est la réparation de l’injure faite et de l’attentat des Corses en la personne de M. l’Ambassadeur de France en 64 par M. le cardinal Chisy [Chigi], neveu du Pape Alexandre sept. Ce sujet est exprimé par deux figures, la France montrant le dessein de la pyramide qui fut élevée dans Rome sous la figure d’une femme ornée de ses attributs au bas exprimant par sa soumission d’accepter cette condition imposée que Rome n’a pas vue longtemps, la générosité du roi ayant fait abattre cette pyramide pour l’amour, et honorer le Saint Pontife Innocent huit.
La Défaite des Turcs en Hongrie
De l’autre côté est dépeint le secours donné à l’empereur contre les Turcs en 64, représenté sous la figure de la France armée, et l’épée à la main, le bouclier fleurdelisé sur le bras, / fol. 235 / dont elle paraît soutenir l’aigle de l’Empire effrayé, en se faisant un rempart de ces infidèles renversés auprès d’elle, ce qui dépeint la généreuse action de M. le maréchal duc de La Feuillade lequel secondé de la noblesse française, força les Turcs vainqueurs des Allemands de repasser la rivière du Raab, et de vainqueurs qu’ils étaient de prendre le parti des vaincus, et de recevoir la paix qui fut traitée après cette action si glorieuse.
Le Secours donné aux Hollandais contre M. l’évêque de Munster
Le quatrième représente le secours donné aux États d’Hollande contre le prince-évêque de Munster en 65. La France paraît sur un nuage les armes à la main, séparant ces deux puissances figurées par deux fières amazones animées l’une contre l’autre ; mais avec cette différence que l’action de l’une et de l’autre exprime sa faiblesse, et avoir besoin de secours qui lui fut envoyée, qui fit aussi faire la paix dans ces provinces.
Deux tableaux octogones sont placés sur le nu des bandeaux de la voûte en manière de clefs au-dessus des massifs d’architecture et feints de lapis à fond d’or comme ceux qui suivent sur la même ligne représentants ce que la bonté du roi exerça en faveur du peuple en 62, figurée par une femme ailée, une flamme sur la tête symbole de la charité qui porte une corne amalthée en distribuant des pains à plusieurs, et que l’on apporte en quantité à des personnes de deux sexes, et de tout âge.
La Défense des duels
Le second de symétrie, figure ce que Sa Majesté a fait, pour arrêter la fureur des duels si communs dans le royaume par la rigueur de ses édits, et l’observation inviolable de son serment royal. Ceci est exprimé sous la figure de Thémis déesse de la / fol. 236 / Justice tenant la balance et l’épée à la main, arrêtant le bras d’un homme en furie prêt à en percer un autre renversé en combattant.
Reprenant le fil principal de la description des principaux tableaux suivants le Passage du Rhin. Les figures volantes au-devant de Sa Majesté sont précédées d’autres Renommées, qui paraissent descendre dans l’ouverture comprise dans le demi-cadre, qui termine la galerie ; elles portent des enseignes conquises ; et une principale sonnant de deux trompettes ornée d’un lambel sur lequel est écrit en latin ces mots de César veni, vidi, vici, qui exprime en bref au sénat de Rome son arrivée dans ces royaumes ennemis, qu’il les avait vus et vaincus en même temps cause des mouvements extraordinaires dans les figures, qui représentent ces trois puissances l’Empire, l’Espagne, et la Hollande que cette grande action si peu prévue et moins attendue par eux obligea de se joindre précipitamment ensemble, pour former une ligue offensive, et défensive, et s’opposer selon leurs intérêts aux rapides conquêtes du roi.
La Triple Alliance
Ces puissances sont représentées sous un riche pavillon retroussé à des colonnes placées sur plusieurs degrés et disposées avec leurs attributs selon leur rang, l’aigle pour l’Allemagne, et le lion commun à la Hollande et l’Espagne. Cette dernière paraît saisie, par le milieu du corps à l’endroit du cœur, d’une figure, qui représente la Frayeur, et en se démasquant, s’avance promptement pour donner sa main droite dans celle de l’Allemagne, pour gages de son alliance. L’Allemagne, comme supérieure est placée dans le milieu sur son aigle effrayé comme le lion d’Espagne par les feux et les bruits des Renommées d’en haut, qui semblent avoir donné la forme à la terreur qui tombe, et la saisit, et l’épouvante d’un foudre qu’elle tient ; pendant que de l’autre / fol. 237 / côté, la Jalousie la mine, et la pousse d’exécuter le dessein qui se projette entre elle. La dernière représente la Hollande dans un désordre de ses riches vêtements et ses cheveux épars, ce qui exprime l’effroi sur le visage en regardant du côté d’où le foudre part donnant précipitamment ses mains aux deux premiers. Son lion paraît criant dans son rugissement et comme écrasé de son propre poids et dans ce désordre est encore foulé des serres de l’aigle, pour marquer que la Hollande seule a été la plus maltraitée dans les actes de la guerre, et chargée des peines d’y fournir aux frais qu’elle cause en général.
Cette masse de figures est élevée, comme j’ai dit, sur des degrés en manière de trône, commun pour leurs fonctions sur lesquels paraissent monter en différentes attitudes plusieurs figures armées représentant tous les princes des cercles unis suivies tumultueusement de plusieurs soldats sans ordre, que la crainte conduit ou amène à ces trois puissances, exprimant tous la confusion, et le désordre de leurs armées, et par leurs contrastes différents les volontés opposées entre ces princes qui ont entré dans cette fameuse ligue contre la France, qui ne leur a produit pour tous fruits que la perte de ces mêmes armées sans comprendre les pays détruits, et les villes conquises.
De l’autre côté du tableau se voit une caverne profonde, ou un Etna, que l’on feint la demeure des Cyclopes, remplie de feux ; ce lieu servant de forge, pour la construction des armes que l’on y fabrique en grande hâte, dont plusieurs pièces confusément entassées et répandues se voient sur le devant, et d’autres que des forgerons apportent, dont les contrastes opposés expriment le peu d’accord qu’il y a eu dans les armements.
Ayant marqué au commencement, que l’économie de M. Le Brun a été de commencer ces sujets par celui du milieu, ayant dessin de renfermer dans les deux salons des extrémités de / fol. 238 / la galerie des sujets des guerres et de paix, pour convenir à ce qui est renfermé dans les grands tableaux de la galerie. Il est bon d’entrer dans celui de ce côté pour y voir les suites de cette fameuse Ligue contre la France.
Le Salon de la Guerre
Ce salon renferme cinq sujets un en cintre ou calotte, et quatre dans la retombée. Celui du côté du jardin représente la furieuse Bellone l’épée à la main sur un char tiré de deux furieux chevaux se mordant l’un l’autre en foulant à leurs pieds des hommes désarmés, la balance de la déesse Thitelis [Themis], les vases de la Religion, les autels, et les feux sacrés, la Religion paraît renversée, la Charité fuyante, emportant un enfant dans ses bras ; des hommes pâles et effrayés, qui sont tous tristes effets de la fureur de la guerre. La Rébellion devance cette furieuse déité des combats dépeinte par un soldat levant les armes ; et la Discorde la suit le flambeau à la main, mettant le feu à des temples et à des palais.
Je commence par ce sujet, pour dépeindre cet esprit de fureur, comme l’âme qui anime les trois autres, qui sont les puissances liguées. Dans celui opposé se voit l’Allemagne, l’épée à la main, se couvrant d’un bouclier en action de vouloir défendre une couronne impériale, qui est auprès d’elle ; son aigle, comme elle, paraît effrayé voyant plusieurs soldats renversés et morts parmi des canons bouleversés, et tous leurs efforts inutiles, ce qui dépeint les pertes qu’elle a faites dans ces guerres, et la dissipation de ses armes.
Dans celui qui est opposé à la galerie se voit l’Espagne une pique à la main dans une action menaçante ; bien que mêlée d’étonnement causé par la fuite, et l’épouvante de ces soldats, surtout voyant plusieurs de ses étendards renversés, qui signifient les diverses puissances appelées à son secours partie renversées comme les forces signifiées par des mortiers sur le devant, et des forte- / fol. 239 / -resses dans le fond toutes ensemble rendues inutiles par la valeur et la force de la France contre laquelle son lion, qui s’élance en l’air en rugissant n’a pu rien exécuter.
Au-dessus de l’entrée de la galerie est représentée la Hollande, se voulant couvrir de son bouclier contre des éclats de tonnerre, qui paraissent la faire tomber sur son lion, dans l’effroi fait lâcher une partie de ses flèches qu’elle porte pour armes. D’un côté se voient des vaisseaux en feu, des soldats épouvantés, d’autres renversés les équipages, et les marchandises tombants en l’eau, d’autres soldats, et l’étendard de Hollande renversés. Ces choses dépeignent les états, où ces puissances ont été réduites pendant le cours de cette grande guerre entreprise contre la France.
Cette monarchie est représentée dans le milieu du plafond, le casque en tête, et le foudre à la main qu’elle lance en bas contre ces puissances qui l’attaquent de toutes parts. Son bouclier est orné du portrait de Louis le Grand coloré, pour signifier, que c’est par lui qu’elle a vaincu ses ennemis, d’autant que ne pouvant pas être en tous lieux à la tête de ses armées, sa conduite et son bonheur ont toujours donné du centre à la circonférence de l’État, les moyens à ceux qu’il a commis à la conduite de ses armées, de vaincre ses ennemis, et de rendre cette monarchie invincible. Un cercle de Victoires l’environne portant chacune des marques des avantages remportés sur eux, soit dans les sièges de places, ou combats, et rencontres de guerre, signifiés en partie par des étendards, qui portent les armes de Brandebourg, Lorraine et Bournonville qui est la bataille de Saint-Huyes remportée sur les généraux par M. de Turenne ; d’autres portent des palmes et des lauriers, des tableaux, où sont dépeints différents combats et entr’autres une glorieusement assise, tenant l’écusson de Strasbourg, pour dépeindre la prise du pont de cette place, et qui fut attaqué, et en partie brûlé par M. de Créquy et un autre tenant un tableau où l’on voit les / fol. 240 / Allemands repasser en confusion ce même pont après les rencontres des armées à Cokespert. Une troisième chargée d’un riche trophée pour exprimer toutes les dépouilles remportées sur ceux en général. Ces sujets sont disposés de manière qu’ils paraissent au-dessus des puissances, qui ont ressenti les effets, ce qui produit des mouvements d’étonnement, de crainte, et de frayeur remarquables dans leurs actions, et des sujets, qui les secondent.
Ces tableaux sont enfermés de branches de palmes et de lauriers lacés ensemble, symbole de la victoire ; et les angles remplis de globes terrestres appuyés de riches trophées d’armes aux côtés, et au-dessus un grand écusson de France couronné, orné de la devise du roi ayant aux côtés des enfants sonnant des trompettes, pour en marquer le triomphe.
Les ornements de la frise sont composés de boucliers, de trophées et de foudres liés ensemble. Les quatre cintres opposés sont remplis de trophées de bronze doré, composés de masques dorés, de festons différents, qui signifient les saisons de l’année et que dans tous ces temps Sa Majesté a remporté des victoires.
La cheminée de ce salon, adossée contre l’appartement du roi, est richement ornée d’un grand manteau de marbre en fronton rompu, renfermant un masque d’Hercule de bronze coiffé de la dépouille du lion et sur masse croisée ; et de chaque côté du chambranle, sont placés sur des pilastres, et consoles, des captifs enchaînés, et assis sur des trophées d’armes ; le tout appuyant un grand ovale de marbre de quinze pieds de haut, où Sa Majesté est représentée, armée de grandeur naturelle à cheval, passant sur des figures renversées, dépeignant ses ennemis ci-dessus marqués ; et sur le cintre de la bordure sont placées deux Renommées aussi de sculptures tenant une couronne, et sonnantes de la trompette pour ces faits glorieux décrits / fol. 241 / d’une histoire, placée dans un grand bas-relief de bronze doré, qui ferme cette cheminée.
Rentrant dans la galerie, je dois dire en passant que deux tableaux en bas-relief sont placés au plafond sur les arcs des quatre morceaux d’architecture, qui renferment celui du milieu ; l’un représentant la première guerre des Flandres entreprise pour les intérêts de la reine, où le prince paraît armé, l’épée à la main conduit d’un Mars ; et de l’autre côté une Justice, qui lui présente un amour tenant son flambeau pour signifier la justice de cette entreprise ; et l’autre comme la Paix fut traitée entre les Puissances à Aix-la-Chapelle.
La Prise de Gand
Passant de l’autre côté, le tableau de symétrie au Passage du Rhin représente en général la conquête de la ville de Gand en 78, qui fut une cause de paix, comme le Passage du Rhin a été un sujet d’une rude guerre et celui de la Triple Alliance. Cette heureuse prévoyance, qui a toujours fait agir Sa Majesté avec tant de succès, lui ayant fait former le dessein d’attaquer et de ruiner les projets de ses ennemis jusque dans leur propre sein pour trancher d’un seul coup le grand nœud gordien de leur obstination, porta ses armes chez eux, avec tant de vigilance, et de secret qu’il tomba à proprement parler sur cette ville comme un foudre dans le temps qu’il y a le moins d’apparence d’orage à craindre, ce que M. Le Brun a exprimé de cette manière. Sa Majesté y est représentée sur l’aigle de Jupiter, le portant dans les airs, le foudre à la main, et l’égide de Pallas sur le bras gauche. Le nuage, qui l’environne, peut-être imaginé semblable à une grenade d’où partent de grands éclats de feu, qui s’écartent en plusieurs lieux. La Vigilance en l’air volante, / fol. 242 / suit le prince comme un vent impétueux qui la pousse suivie de la Terreur sur le devant un peu au-dessus coiffée d’un lion de flamme, les fouets en main, et sonnant d’une trompette, cause une épouvantable crainte, partout où elle paraît se faire entendre.
Ce prince est précédé du secret, qui porte son casque, devancé de la Gloire, et d’une Renommée. Plus bas paraît une figure assise représentante la province de Flandres, vêtue en partie à la manière du pays et d’une mante de crêpe noir pour signifier que c’est sous le gouvernement de la veuve de Philippe quatrième que ces choses se sont passées, elle paraît surprise et effrayée de voir en l’air une Minerve armée, ayant les talonniers de Mercure, et tombant comme un vent, enlever un grand étendard et des clefs des mains d’une jeune fille richement vêtue, appuyée sur ses genoux, l’une et l’autre paraissant effrayées du coup si imprévu ; et le lion que l’on a donné à la ville de Gand pour armes, épouvanté en se voulant défendre, dont les efforts, qu’il signifie, furent rendus inutiles. Le parc, qui lui est aussi donné pour dépeindre l’enceinte de haie naturelle et des fossés qui l’environnent, et lui servent de défenses à dix lieux à la ronde se voient rompus, d’autant que ce fut le premier effet de la prévoyance du roi de faire couper ces remparts naturels, et saigner les fossés pour en détourner l’eau, ce qui fut exécuté dans tout ce circuit en une seule nuit.
De l’autre côté se voient plusieurs femmes en différentes expressions d’étonnement, et de frayeurs causés de ces éclats de tonnerre, et dépeignent les villes de Flandres conquises ; comme il se remarque aux armes, qu’elles ont sur leurs écussons ou boucliers, telles que Valenciennes dans le milieu trébuchant sur ses propres armes, et soldats. Saint-Omer et Cambray attachées à un riche char de victoire chargé d’armes et trophées.
/ fol. 243 / La ville d’Ypres, et d’autres effrayées, et des soldats fuyant dans le fond pour éviter les éclats de ces foudres levés en l’air paraît sur un nuage le dieu de la guerre devançant Sa Majesté en combattant contre la Discorde signifiée par un Dragon à plusieurs têtes, trébuchant dans un nuage épais où l’Envie, et la Fureur sont enveloppées et tombantes. M. Le Brun a représenté Sa Majesté portant ses regards du côté de ce Mars, dans le temps qu’il lance ses foudres ; pour exprimer qu’il n’avait intention que d’abattre cette haine générale conçue contre la France ; afin de donner par leurs défaites le repos aux peuples de l’Europe, ce qui arriva peu de temps après la prise de cette grande ville, qui était le magasin et l’arsenal des armées ennemies. Ce grand exploit qui déconcerta toutes leurs mesures est dépeint de l’autre côté du cintre de ce tableau ; dans l’air, et au plus haut paraît une Renommée sonnante de deux trompettes, dont le son éclatant étonne un vieillard vénérable, orné du collier de la Toison, qui porte sa main au-dessus du front étant surpris et ébloui des rayons de lumière, qui sortent des nuages, et des foudres lancés de Sa Majesté.
Cette figure représente le Conseil d’Espagne surpris aux nouvelles de ce grand coup, qui déconcerta toute sa prévoyance, dépeinte par une femme assise, qui paraît se renverser en arrière au même son de ces trompettes, et de ces éclats de foudre ; sa règle et son compas sont rompus et son livre en désordre, et c’est en vain qu’il s’efforce de se retenir au manteau de la politique, qui est de l’autre côté dépeinte par une femme armée en action de pousser un lion, qu’elle tient au poil ; ne voulant ni avancer, ni reculer, baissant le mufle en terre ; et un léopard qui s’élève en fuyant, qui sont les deux symboles de la politique, la force par le premier et le second de finesse, l’un et l’autre inutiles dans ce temps au Conseil espagnol, que tous les préceptes tirés de Machyavelle [Machiavel] / fol. 244 / n’ont pu seconder, ni servir, dépeint par le livre qui en porte le titre et confusément mêlé en bas avec des armes renversées.
De ce même côté se voient deux grandes colonnes penchantes, comme écartées de leur plan, ou situation par l’effort de ces foudres qui les renversent, et un aigle dessus effrayé, les ailes étendues pour se soutenir, sentant manquer les deux piliers sur lesquels il était placé, et orné d’un lambel portant description impérieuse que Charles Quint a fait mettre autour de ces colonnes en ces termes : « Plus ultra », pour faire entendre à la postérité qu’il avait plus fait que ce héros de l’Antiquité, qui en fit élever deux sur les montagnes opposées de l’Europe et de l’Afrique séparées par le détroit de Gibraltar, lorsqu’il fut arrivé sur le bord du grand océan, mais la différence est que la longueur des temps les a seulement détruites, et que celles de Charles Quint qui se voient à Gand ont été extrêmement ébranlées par la conquête de cette ville, ou plutôt cette grande monarchie prétendue si solidement établie. Ce n’est pas sans sujet que l’aigle paraît effrayé, et chancelant voyant ces éclats de foudre, qui font écarter, et trébucher plusieurs soldats. De l’autre côté et dans le fond des murs et des citadelles en ruines ; les deux angles et oreillons de ce tableau sont décorés comme le Passage du Rhin de femmes, qui le décorent de grands tapis mêlés de festons de palmes et de fleurs et fruits, et de figures volantes, représentantes des victoires, qui enlèvent de chaque côté des étendards ; l’une portant sur le sien en lettres d’or ces mots : « Bataille de Cassel », pour marquer la victoire remportée en Flandre par M. frère unique du roi suivie de la prise de Saint-Omer qu’il avait assiégée. La seconde de l’autre côté porte sur le sien « Bataille de Senef » gagnée par M. le prince de Condé aussi en Flandres contre les armées confédérées. Au bas de ces sujets, sont placées des filles de Mémoire occupées à écrire les faits généraux sur des boucliers d’airain, / fol. 245 / pour laisser à la postérité. L’autre côté du tableau est pareillement décoré, mais avec différence dans toutes les figures occupées à de pareilles fonctions. Les massifs d’architecture des côtés sont remplis comme les précédents d’ovales renfermant les sujets qui suivent.
Les Invalides
Le premier sujet est l’établissement de l’hôtel des Invalides ou de Mars, dans lequel tous ceux qui ont été blessés dans le service royal sont entretenus le reste de leurs jours. Cette maison par la bonté et la grandeur royale ayant donné lieu à cette fondation si utile, et nécessaire à tant de braves infortunés. M. Le Brun a représenté cet acte royal sous la figure de la Piété assise sur un trône, une flamme sur la tête, tenante une corne amalthée remplie, et d’où tombent des fruits et pièces de monnaie qu’elle distribue à plusieurs hommes, ornée des marques d’honneur, telles que l’ordre de Saint-Lazare et autres ; et Minerve à son côté comme présidant à tout ce qui concerne, non seulement aux actes de prudence mais aussi de l’art militaire, tient un tableau sur lequel est tracé et dépeint le plan général de cette grande maison.
Les Ambassadeurs étrangers
Celui qui est opposé représente la réception des ambassadeurs étrangers ; la France en pied ornée d’un manteau royal fleurdelisé, le sceptre à la main, et appuyée de l’autre sur un bouclier, paraît au milieu leur donner à tous audience telle qu’à celui des Moscovites, Turquie, d’Afrique et autres lieux, qui se sont rendus dans le royaume, soit pour traiter des alliances, ou pour honorer Sa Majesté.
Le Renouvellement d’Alliance des cantons
Par le troisième est dépeint le renouvellement d’alliance par les envoyés des treize cantons suisses à sa Majesté, qui y est représentée sous la figure de la France couvert de son manteau royal tendant la main en signe d’alliance à ces anciens confédérés.
/ fol. 246 / La Jonction des deux mers
Le dernier représente la jonction ou communication des deux mers Océane et Méditerranée par les canaux construits à cette fin pour rendre le négoce plus communicable et aisé de l’une et de l’autre, et sans danger, ce qui est figuré par Neptune et Thétis remarquables par leurs attributs se donnant la main. D’un côté se voit une baleine, et de l’autre un dauphin à cause que les espèces d’animaux passent rarement de l’une à l’autre.
La police dans la ville de Paris
Les tableaux placés sur les bandeaux de la voûte qui renferment le dernier décrit représente l’une ce qui peut signifier l’ordre et l’établissement de la police observée dans la ville de Paris, pour la sûreté de ses habitants : cette figure hiéroglyphique est assise auprès de la Justice tenant une bourse ouverte, et s’appuyant sur un faisceau de verges liées ensemble, qui signifie que l’autorité magistrale la soutient, et que c’est elle qui préside à la punition de ceux, qui troublent les particuliers par des actes de brigandages : ce qui est dépeint par une cohorte de soldats, qui font la ronde, pendant que d’autres poursuivent dans l’éloignement de ces malfaiteurs nocturnes.
L’Acquisition de Dunkerque
Le dernier représente l’acquisition de Dunkerque par Sa Majesté sur les Anglais. La France est assise sur un trône faisant distribuer de l’argent par le ministère de la Piété à l’Angleterre qui le fait mettre dans des coffres. Une figure à genoux présente en même temps les clefs à la France comme en action de grâces de se voir délivrée de ce joug étranger, qui la retire du pouvoir de l’hérésie représentée auprès, un bandeau sur les yeux marque de son aveuglement et des livres auprès d’elle, confusément entassés ensemble comme les dogmes. / fol. 247 / Il est à remarquer que tous les masques enfermés sur les frontons sont des expressions tirées du beau traité des passions, que M. Le Brun a fait et sont disposés en telle sorte que l’allégresse, la joie, l’aversion, et le mépris, ainsi des autres, sur les endroits qui renferment les exploits de Sa Majesté, et dans ceux où sont dépeintes leurs infortunes guerrières y sont placées celles de pleurs, comme la tristesse, haine, jalousie et désespoir, le tout au nombre de douze.
Les enfants dessus les frontons qui représentent les génies des arts, tous actifs à décorer ces sujets de festons différents sont représentés dans la fin de cette dernière partie entrer dans une manière de repos, ayants mis fin à leurs occupations, ce qui me donne sujet d’entrer en suivant l’ordre dans celui qui a été cause de la Paix, et qui fait la fin de la galerie de ce côté représentée.
Le Tableau de la désunion
Dans le tableau du fond, où se voit la Hollande recevant la Paix que Sa Majesté lui accorda en 78, les affaires du temps et véritables ont été telles que Sa Majesté ayant mis entre les mains des Anglais un projet par écrit de ses justes prétentions les rendant médiateurs entre elle et les États d’Hollande, ce projet leur fut caché par un trait secret de politique, ce qu’étant venu à la connaissance de Sa Majesté, elle le fit connaître directement aux États sur lesquelles expositions ils se résolurent à la Paix : ce que M. Le Brun a représenté de cette manière dans le même espace de symétrie à l’autre bout de la galerie où se voient ces Renommées, qui semblent être la cause de l’union des trois Puissances par le son effrayant de leurs trompettes.
Dans celui-ci est dépeint un Mercure descendant du ciel, présentant une branche d’olive, symbole de paix, à une femme représentant la Hollande qui la reçoit en étendant les bras de ce côté. Son lion paraît entièrement soumis et effrayé des coups de foudre, qui éclatent de toutes parts. / fol. 248 / Mercure est suivi de l’agréable nymphe qui préside à la paix descendant légèrement sur des nuages tenant une corne amalthée remplie de toutes sortes de fleurs et de fruits, qui paraissent tomber et est suivi d’enfants répandant des fleurs et des fruits, pour dépeindre les douceurs qu’il cause.
Ces trois Puissances sont représentées comme dans l’autre tableau sur des degrés ornés de colonnes en manière de péristyle décoré de superbes rideaux attachés à la grande corniche. L’Allemagne est placée dans le milieu plus élevée, et en partie environnée d’un nuage délié, qui lui couvrait alors les projets de cette alliée, dont la dissipation marque quelque disposition conforme à l’occurrence par ces éclats de foudre. C’est en vain que son aigle veut retenir la Hollande de son bec par son manteau, et que l’Espagne aussi effrayée, et son lion renversé sur le dos veut se retenir à celui de l’Allemagne de laquelle elle pouvait espérer du secours. Cette disjonction, et ce désordre inopiné et le son des trompettes de deux Renommées, qui paraissent en l’air dans ce tableau, causent la fuite à plusieurs soldats, et des forgerons du même côté tous épouvantés des éclairs et des feux, qui paraissent tomber dans ces endroits. Il s’est passé dans ce temps un sujet historique, que je ne feindrai point de marquer à l’honneur de Louis le Grand, que la gloire, et la prudence mettent au-dessus de tous ceux qui se sont voulus par quelques voies opposer à sa grandeur et sa justice, ce qui s’est passé même dans le temps que j’écris ces sujets.
Le génie mouvant de la nation anglaise recherchant les moyens de rebrouiller les affaires de la guerre, dans le temps qu’il cachait les sincères intentions de Sa Majesté très chrétienne pour la paix, envoyèrent un secours par mer aux Hollandais, pour les soutenir, et les empêcher de conclure les traités de paix prévus : ce qui est dépeint par une femme, qui veut soutenir la Hollande, ou l’empêcher de recevoir cette branche / fol. 249 / d’olive ; elle est suivie de plusieurs vaisseaux qui paraissent en mer, mais l’occurrence, et les affaires, qui ne permettaient pas, que ces choses fussent dépeintes par des sujets assez connus, en conséquence des traités avec les Anglais, M. Le Brun a représenté cet incident d’une autre manière, et pour ce qui fut entrepris du prince d’Orange, lorsque contre le droit, et ce qu’il avait de connaissance du traité de la paix, qu’il avait voulu surprendre M. le maréchal duc de Luxembourg à la bataille de Saint-Denis, qui ne servit qu’à faire paraître une extrême ambition : c’est sous cette figure hiéroglyphique accompagnée d’un paon, que cette double tentative contre la France est représentée, mais on peut dire, que les effets n’ayant pas répondu à leurs desseins, tous ces ennemis sont demeurés comme immobiles sans mouvement, tel que ce qui est feint des poètes, de ceux de Persée transformés en statues, par la vertu du bouclier de Minerve, dont Sa Majesté est armée, dont la vue jointe aux éclats de foudre de l’un et de l’autre tableau du Passage du Rhin, et la prise de Gand, semble glacer de peur quatre figures, qui remplissent les quatre angles de cette galerie représentant la haine, l’envie, la jalousie et l’ambition transformées en bronze, en partie cachées par la chute des rideaux, qui les remplissent.
Le salon de la Paix
Entrant dans le salon de la Paix, je commencerai par les ornements ; les angles sont décorés de grandes lyres portant une couronne de France entre deux caducées avec des cornes d’abondance ; les cartouches au-dessus sont les armes de France pareillement soutenues par des amours, et environnées de festons de fleurs et de fruits. La frise et corniche est ornée de branches d’olives, de blés, de bouquets et de couronnes de fleurs. Le dessus des portes est couronné de vases, et d’enfants à côté, qui soutiennent de part et d’autre des festons, / fol. 250 / et des instruments de musique en trophées. Les masques, des têtes de muses ornés aux côtés d’instruments des arts libéraux. Les bordures des tableaux sont composées d’un mélange de fleurs et de fruits lacés, ou liés de branches d’olivier. Il n’est pas difficile de juger que toutes ces choses différentes portent tout le caractère de la paix, comme ce qui est dans l’autre salon ceux de la guerre.
Dans la coupe de ce dernier est exprimée et représentée la France assise sur un globe, placée sur un char d’or, le tout sur un nuage lumineux. La gloire est un peu au-dessus, qui la couronne d’un cercle d’immortalité, et la Paix le caducée à la main se présente au-devant de la France prête à descendre dans cette partie de l’Europe, de laquelle elle était tant souhaitée. L’Abondance répand des festons de fleurs d’une corbeille soutenue d’un amour.
Deux autres sont occupées à mettre sous le joug du char chacune deux colombes par lesquelles est dépeint le mariage de Monseigneur avec la princesse de Bavière, et celui du roi d’Espagne avec la fille de Monsieur frère unique du roi ; et par deux autres colombes que tient un autre amour est préfiguré celui de M. de Savoie avec la seconde fille de Monsieur ; ces pensées agréables sont accompagnées des grâces, et de l’Hymen, qui y préside attachant son flambeau avec des festons de fleurs en même joug pour y unir de son feu céleste, et embrasser ces colombes, symbole de l’union.
De l’autre côté paraît l’Allégresse publique sous la figure d’une agréable bacchante, se réjouissant à la vue de ces spectacles désirés des peuples, accompagnée de l’Amour des plaisirs jouant ensemble d’un tambour de basque, de castagnettes et d’un tymbale antique dans son cercle.
De l’autre côté du cintre en face de la France est représentée la Religion accompagnée de l’Innocence offrant de l’encens sur un autel en action de grâces au ciel de ce grand bien procédant de la / fol. 251 / France, laquelle dans ce temps de repos a travaillé puissamment à l’extirpation de l’Hérésie, qui se voit au-dessous renversée avec son masque et ses livres. Ce temps heureux de Paix faisant renaître toutes choses, la magnificence y est dépeinte ensuite avec des instruments des arts mêlés de cornes amalthées remplies de sceptres, de couronnes, de fleurs, et de fruits, et paraît exposer des plans de superbes édifices, pour marquer l’emploi sérieux et agréable de Sa Majesté après les exploits guerriers. De l’autre côté est représentée la Concorde couronnée de fleurs laquelle de son faisceau fait trébucher la Discorde et l’Envie, du cercle de cette noble assemblée.
Dans le tableau, qui est du côté de l’appartement est représentée l’Europe chrétienne, assise sous un riche pavillon en rideau, soutenant d’une main une tiare, et de l’autre une corne d’abondance. À ses pieds paraissent plusieurs dépouilles turquesses, pour signifier que par la paix accordée à ces peuples elle a eu lieu de triompher de ses redoutables ennemies. D’un côté est assise la Justice, et de l’autre la Piété élevant au ciel une cassolette en action de grâces du grand bien, qui donne lieu au rétablissement du culte de la Religion figurée par deux enfants aux pieds d’un autel sur lequel brûle de l’encens, et de l’autre côté celui des arts, par d’autres, qui s’occupent de nouveau comme au rétablissement des lieux saints que la fureur de la guerre a détruits, représentés dans le fond par des bâtiments, entremêlés d’arbres et de cyprès.
Dans le tableau en face de la galerie, est représentée l’Allemagne assise et appuyée sur un globe regardant en haut du côté de la Religion, qui est dans le cintre, et tendant la main pour recevoir d’un amour volant une branche d’olive, et laurier qu’il lui présente, l’une étant le symbole de paix, et la seconde branche, pour signifier qu’il devait dans ce temps être victorieux des infidèles, ce qui est dépeint par d’autres enfants en bas, qui apportent des dépouilles auprès de l’aigle impérial, et en élève d’autres trophées, et le grand étendard de Mahomet gagné sur les Turcs par la valeur du roi de Pologne, leur faisant lever le siège de Vienne. / fol. 252 / Le peuple se réjouit à l’aspect de tous ces sujets tant de paix, que de victoires buvant et se réjouissant aux fanfares des instruments à la manière du pays et des trompettes, et timbales, et au bruit de l’artillerie dansant autour des feux d’artifices dans lesquels on voit jeter plusieurs armes, pour dépeindre que les actes d’hostilité ont cessé dans cet heureux temps.
L’Espagne est représentée au-dessus de la galerie ; elle est à genoux, les mains et les yeux élevés vers le ciel recevant pareillement une branche d’olive des mains d’un amour, qui en descend, et ce même esprit de paix anime de joie la nation espagnole exprimée par des feux d’artifice et de danse autour, et par des enfants qui portent des armes, et des étendards dans les feux. D’autres se divertissent autour des canons et différentes armes pendant que d’autres s’occupent à jouer de la guitare et d’autres instruments de musique à leurs manières.
Le quatrième du côté du jardin renferme les mêmes incidents causés par le même sujet de la paix ; la Hollande sous la figure d’une femme à genoux reçoit aussi une branche d’olive sur son bouclier mêlé de flèches, pour dépeindre que Sa Majesté lui accordant la paix lui a aussi rendu ce qui avait été conquis, signifié par ses propres flèches, que cet amour lui rend : ce qui oblige ses chefs ou magistrats qui y paraissent à genoux d’en rendre grâce au ciel, la paix étant la seule voie de rétablir les commerces interrompus ; et auxquels se voient des gens occupés à construire et équiper des vaisseaux pour renouveler sur les mers les voyages éloignés dans le temps que le lion lassé se laisse doucement flatter par les amours de la paix, qui adoucissent sa férocité naturelle.
Le sujet de l’ovale, qui est dessus la cheminée de symétrie à celui du premier salon, devait être pareillement de marbre ; mais soit que la longueur du travail, ou le poids de ces morceaux / fol. 253 / ayant fait changer de sentiment, M. Le Brun eut ordre d’y faire des tableaux ; et commençant par ce dernier du salon de la Paix, il a représenté Sa Majesté sur un superbe trône feint dans le même lieu, où on lui a vu recevoir les ambassadeurs de Siam, et élevé au milieu généralement de tous ceux de toutes les nations du monde, qui se sont rendus auprès de ce prince pour quelque motif que ce soit. La composition de ce tableau est d’une noble imagination, s’étant formé une idée de la grandeur du roi Salomon devant lequel la fameuse reine de Saba, et les ambassadeurs de tous les rois de la terre habitable, se rendirent pour voir sa sagesse et admirer sa grandeur ; ce sujet est très noble pour être entré dans le caractère conforme à chaque sujet, qui paraît au-devant de ce grand prince : il est demeuré imparfait par la mort de son auteur.
Sur l’ordre français d’architecture
Devant que de sortir de ce lieu et de la description de ce grand ouvrage en repassant dans la galerie, l’on y remarquera un ordre nouveau d’architecture qui en forme toute la composition d’en bas, que M. Le Brun composa en 71 dans le temps que l’on travaillait fortement au Louvre, pour lequel ordre nouveau, qui devait être nommé français, on fit afficher en public, que celui qui en composerait un digne d’être placé dans ce lieu et qui put servir de couronnement à ceux d’en bas aurait en récompense un présent de dix mille écus. M. Le Brun, étant à Sa Majesté dans les qualités qu’il possédait, se crut obligé de mettre au jour les pensées, qu’il pouvait avoir sur ce sujet : ce qu’il exécuta dans le temps même d’une maladie, et qu’il composa toutes les belles fontaines dont nous avons parlé. Son idée a été sur la belle forme d’un palmier lequel se dépouillant naturellement à proportion qu’il croît laisse sur le tronc une écorce de la tige de ses branches, qui font autour un ornement arrangé en manière d’écailles, et / fol. 254 / comme ce fût des colonnes est proprement un arbre au pilier, dont les anciens se sont servis par nécessité, dans l’usage, et la construction de leurs logements. Cet ornement naturel, y est de soi plus convenable que des cannelures, qui représentent les plis des robes à l’usage des femmes ; ce que je dis, est sans prétendre toucher à ce qui est vénérable des Anciens. Le chef de ce palmier compose de lui-même dans le retour de ses branches, les volutes au moyen d’un tailloir, qui les recourbe, ce qui fut trouvé par le secours de la feuille d’acanthe, qui environnait une urne couverte. Ces deux exemples suffisent pour faire entendre, que ce qui est naturel et bien choisi est toujours plus convenable, que ce qui est d’un genre contraire (en ayant vu d’une personne qui passait pour habile et savante où on avait employé des plumes d’autruches pour former ces volutes entées ou attachées contre l’arbre ou fût ordinaire de sa colonne, mais laissons cette digression que je n’ai faite que pour quelques particuliers qui s’attribuent le droit de renverser ce que toute leur capacité aurait bien de la peine à enfanter). Ces volutes naturelles embrassent dans leurs retours le symbole de la France, qui est le coq placé sous les angles du tailloir, dont les ailes étendues aident beaucoup à rendre cette forme agréable. Je sais bien que l’on voit des chapiteaux composés, où il se voit de semblables animaux, ou autres, mail il s’agit ici d’un composé parlant de soi en faveur de la nation gallique aussi belliqueuse qu’elle est vigilante et active, et remplie de gloire sous le règne du prince qui la régit, qui y doit être considéré.
Ces choses sont figurées par des fleurs de lys entées entre les branches du palme, dont l’application est de soi aisée à imaginer à la gloire de la monarchie. La base est richement ornée dans le modèle, et qui est lissé ici comme la colonne, les modillons sont doubles soutenus de consoles finissant en triglyphes, et remplis de coquilles / fol. 255 / renfermant un globe ; la frise et les métopes sont ornées des ordres de Saint-Michel et du Saint-Esprit, de soleils, et de fleurs de lys et de couronnes de France. Le cordon est en lassis continué de feuilles d’olives mêlées de leurs fruits. Toutes ces choses ont leur juste application que je lève d’ici crainte de prolixité.
Les colonnes et les pilastres sont de marbre, les bases, et les chapiteaux de bronze doré au feu, les trophées, des dépouilles de lion qui couronnent les cintres des croisées de même matière comme les grosses roses, qui sont dedans le compartiment de dessous, dont les quatre massifs de milieu sont pratiqués des niches revêtues de marbre, où sont placées quatre figures antiques, et les deux extrémités pareillement décorées de deux autres statues antiques sur des piédestaux saillants entre les colonnes, qui soutiennent les grandes arcades par lesquelles on passe dans les appartements ; celles de symétrie aux ouvertures du côté du parterre sont remplies entièrement de grandes glaces enchâssées par des filets de bronze lesquelles, par leurs réflexions, représentent une double galerie, comme tous les sujets : ce qui forme un spectacle des plus superbes qui se puisse voir et, surtout, lorsque le roi attendu de toute la cour, pour se rendre aux actes de religion, il semble que ce soit un double monde qui l’environne.
Nous voici à la fin de ce grand ouvrage, chose presque incroyable, qui a été fait généralement en toutes choses en moins de quatre années.
Ce ne fut pas sans crainte tant de la part de Sa Majesté, que de celle de M. Colbert dans son commencement, lesquels demandant à M. Le Brun quel âge il avait, marquèrent qu’il serait bien fâcheux, si un tel ouvrage, dont personne n’avait les lumières ni la clef, venait à être interrompu par la mort de son auteur. Mais le bonheur de Louis quatorze, qui est comme l’âme qui anime tout ce qui est entrepris dans ses États, est comme la cause par le vouloir divin que ce labeur / fol. 256 / a été mis dans l’état qu’il se voit à présent, pouvant dire, que ces pressentiments étaient indices de la fin de l’auteur, qui n’a guère survécu, après la fin de ce grand ouvrage.
Si on s’aperçoit dans les faibles descriptions de quelques idées, qui se rapportent avec M. Le Brun, et que l’on y puisse découvrir une consommation profonde de lecture des pensées physiques et allégorique ; on pourra encore remarquer dans ce qu’il a fait ensuite, comme ci-devant, des méditations très particulières sur la religion, et on peut dire, que ce grand homme sentant approcher sa fin par de certains pressentiments secrets, n’avait point d’autre occupation, et de joie, que de goûter le repos tranquille ; mais fructifiant à l’égard de la nourriture spirituelle, qu’en faisant lire actuellement l’Écriture sainte, et les saints Pères, pour goûter ces éléments purs, dans lesquels il avait puisé de si nobles, et hautes idées.
Auteur : Nicolas Milovanovic
© Coproduction RMN – EPV, 2008