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/ p. 3 / Premier tableau
Le roi préférant la gloire aux plaisirs
Comme on a voulu représenter dans la galerie de Versailles les principales actions du roi, depuis / p. 4 / qu’il s’est chargé de la conduite de ses États, on les a distribué en neuf grands tableaux et dix-huit de moindre grandeur, qui sont tous accompagnés d’inscriptions, pour en faire connaître le sujet. Les conquêtes du roi en Hollande, et la seconde guerre contre l’Espagne jusqu’à la paix de Nimègue, ont fourni de la matière aux neuf grands tableaux. Dans les autres on a peint plusieurs actions célèbres de Sa Majesté, faites en divers temps.
Le plus grand tableau de tous occupe le milieu de la galerie, et c’est par celui-là que commence cette histoire. Ce tableau nous fait voir sous plusieurs images allégoriques, la / p. 5 / disposition générale de la France, dans le temps que le roi prit en main le timon du gouvernement. La France est figurée par une femme revêtue d’un grand manteau bleu semé de fleurs de lys d’or, assise à l’un des coins du tableau, et qui a un bras appuyé sur un bouclier dont le poids semble écraser la Discorde qui est dessous. L’Hyménée couronné de fleurs est à côté de la France. Il tient d’une main son flambeau et de l’autre une corne d’Abondance, pour marquer les heureuses suites du mariage du roi. La Seine est plus bas couchée sur son urne, d’où sortent de l’eau et des fruits mêlés ensemble et ce mélange est un témoignage de la fertilité / p. 6 / des provinces qu’elle arrose. Le roi est au milieu du tableau, sous un pavillon magnifique, assis dans un trône, et posant la main sur un timon de navire en signe de son application au gouvernement. Il est peint dans la première fleur de la jeunesse, et derrière son trône l’on a placé les trois Grâces, pour exprimer les charmes inséparables de sa personne. La Tranquillité est auprès de lui, représentée par une femme assise, qui laisse tomber négligemment sa tête sur sa main gauche, et de l’autre main tient une grenade (qui est la marque de l’union des peuples sous la puissance souveraine). Ce qui désigne la profonde paix dont la France jouissait en ce / p. 7 / temps-là, tant au-dedans du royaume qu’au-dehors. Au pied du trône on voit plusieurs enfants nus qui jouent ensemble et par ces enfants on a voulu figurer les Génies de toutes sortes de plaisirs et de divertissements. En cet endroit, la Gloire se présente au roi sous l’apparence d’une femme admirablement belle, soutenue en l’air, et qui tient à la main une couronne d’or enrichie d’étoiles. Minerve qui est du côté du roi, et Mars qui est plus haut, lui font remarquer l’éclat de cette couronne pour signifier que la Sagesse et la Valeur doivent lui procurer cette glorieuse récompense. Le jeune monarque paraît transporté à l’aspect de la Gloire et de la Cou- / p. 8 / ronne qui lui est offerte, sans avoir plus d’attention, ni à la Tranquillité de son Bonheur, ni à la diversité des Plaisirs dont il est environné. Le Temps, qui est au-dessus de la tête de Minerve, lève un des coins du pavillon sous lequel le roi est assis, pour montrer que le Temps devait découvrir les qualités héroïques de ce prince. Dans une partie du ciel plus élevée on voit d’autres divinités comme Jupiter, Junon, Neptune, Vulcain, Pluton, Hercule, Diane, Cérès, la Victoire et la Renommée, qui par leurs regards favorablement tournés sur le héros, font juger qu’ils applaudissent à l’amour qu’il a pour la Gloire, et qu’ils lui promettent leurs secours. / p. 9 / Le Soleil sur son char, précédé de l’étoile du point du jour, semble se hâter pour se trouver à ce grand spectacle ; tandis que Mercure vole dans le vague des airs, pour aller annoncer par toute la terre les vertus du roi. Il s’avance premièrement vers l’Allemagne, l’Espagne et la Hollande, qui sont peintes de l’autre côté du cintre, sous trois figures de femmes dont les attitudes et les accompagnements différents font connaître le génie et la fortune de ces trois nations. L’Allemagne est assise sur un nuage fort délié. Elle a la couronne impériale sur la tête, et l’aigle des Césars est à son côté, les ailes étendues. Sa contenance est extrêmement fière et / p. 10 / dédaigneuse, mais la légèreté du nuage qui la soutient fait voir que sa fierté n’est fondée que sur de vaines prétentions. L’Espagne est à son côté droit, mais plus bas ; elle est portée sur un lion furieux, qui déchire un roi des Indes couché sur ses trésors. Auprès d’elle est l’Ambition, qui d’une main tient un flambeau allumé, dont elle met le feu à un grand palais, et de l’autre arrache à un roi terrassé la couronne qu’il a sur la tête. À côté gauche de l’Allemagne, et plus bas encore que l’Espagne, est la Hollande, portée aussi sur un lion, qui tient dans ses griffes un faisceau de sept flèches liées ensemble, que les sept Provinces-Unies / p. 11 / ont choisi pour le symbole de leur confédération. Elle a un trident à la main gauche, et de la même main, elle tient le bout d’une longue chaîne, à laquelle est attachée par le bras une femme nue assise à terre, et qui a l’air fort triste. Sa couronne de corail fait connaître que c’est Thétis, et la chaîne montre combien cette République s’était rendue puissante sur mer, principalement pour le commerce, qu’elle se voulait attirer à elle seule. Dans le coin du tableau et dans le lointain, on voit plusieurs vaisseaux qu’on équipe ou qui partent du port, pour signifier les voyages de long cours dont ces peuples ont tiré tant d’avantages.
/ p. 12 / Second tableau
Le conseil de guerre
L’amour de la gloire ayant prévalu dans l’esprit du roi, il n’eut plus d’autres soins que d’assurer le bonheur de ses sujets et de soutenir hautement la dignité de sa couronne. Ces matières sont traitées dans les dix-huit petits tableaux de la galerie, où l’on voit ce que le roi fit alors pour le règlement des finances ; pour la réformation des lois ; pour la punition des duels ; pour l’avancement des beaux-arts ; pour le rétablissement de la navigation ; / p. 13 / pour le secours de ses alliés ; pour la préséance de ses ambassadeurs ; pour la défense des droits de la reine, d’où vint la première guerre contre l’Espagne ; ce qui sera expliqué plus amplement dans la description particulière de chaque petit tableau.
Depuis tout cela, la mauvaise conduite des états généraux des sept Provinces-Unies lui ayant offert une nouvelle occasion d’exercer son courage, le peintre a choisi cette guerre pour en faire le sujet de ce second tableau, et des quatre qui le suivent. En celui-ci, il n’a point eu d’autre dessein que de nous découvrir les diverses pensées que le roi peut avoir eues dans / p. 14 / le temps qu’il délibérait, s’il attaquerait cette république. Et l’on peut dire qu’il les a exprimées d’une manière très ingénieuse. Le roi est peint revêtu de son manteau royal, assis sur son trône, et dans une attitude où il paraît beaucoup de sang-froid et d’attention, qui sont les dispositions nécessaires pour les délibérations de cette importance. D’un côté la Valeur représentée par Mars ne lui propose que des triomphes et des conquêtes, et c’est ce qui paraît par l’action de ce dieu, qui lui montre de la main un char de triomphe, où il l’invite d’entrer comme s’il l’appelait à une conquête assurée. Pour fortifier ces espérances, il / p. 15 / lui fait voir des trophées et des boucliers où sont les noms des villes qu’il avait déjà conquises dans la première guerre contre l’Espagne. La Victoire même et la Renommée paraissent auprès du char, l’une toute prête à couronner le vainqueur, l’autre se disposant à publier partout sa gloire. D’autre côté Minerve, qui dans ce langage mystérieux de la peinture signifie la Prudence, lui fait faire les justes réflexions qui doivent précéder de semblables entreprises. Cette déesse, à qui l’on doit l’invention de la tapisserie, se sert de ce moyen pour lui découvrir les difficultés qui pouvaient l’arrêter, et dans un ouvrage qui paraît / p. 16 / tissé d’or et de soie, elle lui montre en abrégé les malheurs de la guerre, et ce qu’il y avait à craindre pour ses troupes. En un endroit, elle lui fait voir des fleuves rapides où ses soldats sont noyés. En un autre, elle lui montre l’air tout en feu, qui le menace de chaleurs excessives. Plusieurs soldats couchés par terre et à demi mourants sont les présages des maladies contagieuses. On y remarque aussi des froids aigus par toutes les apparences qui peuvent en donner l’idée. On y voit des arbres dépouillés de feuilles et que les frimas ont blanchis ; et même dans le haut de la tapisserie, on aperçoit l’Hiver sous la figure d’un vieillard, / p. 17 / qui étouffe un soldat entre ses bras pour exprimer la rigueur de cette saison. L’Envie entourée de serpents paraît au milieu d’un champ aride, pour lui faire comprendre combien sa valeur lui attirerait d’envieux et d’ennemis. Cependant la Justice, qui est derrière le trône du roi, semble le déterminer. La présence de cette divinité fait voir qu’elle avait présidé à ses conseils, et que c’est elle qui lui inspira alors tout ce qu’il a depuis si heureusement exécuté.
/ p. 18 / Troisième tableau
Les préparatifs de la guerre
Ce troisième tableau nous fait voir les préparatifs de la guerre contre la Hollande. Le roi est représenté debout. La Prévoyance est à côté de lui, sous la figure d’une femme qui tient un livre ouvert et un compas. Par le livre ouvert on signifie qu’elle fait tout avec connaissance ; et par le compas on nous désigne les justes mesures qu’elle sait prendre. On l’a placée auprès du roi pour montrer qu’en toutes sortes d’occasions, cette sage Prévoyance / p. 19 / l’accompagne. La Vigilance, qui est encore une vertu nécessaire à la guerre, paraît au plus haut du tableau, comme ayant eu beaucoup de part à cette entreprise. Elle est représentée par une femme ailée, qui tient d’une main une horloge de sable, et de l’autre un coq avec un éperon. Les ailes signifient l’activité ; l’horloge de sable, le bon usage du temps ; le coq, l’attention ; et l’éperon, la promptitude ; qualités nécessaires à la Vigilance, qui doit être tout ensemble agissante, ménagère du temps, attentive à tout, prompte dans l’exécution sur le devant du tableau. Neptune paraît dans un char tiré par deux chevaux marins, et vient / p. 20 / se présenter au roi en s’approchant du rivage. Le roi lui tend la main en témoignage d’alliance, et comme acceptant le secours de ce dieu pour ses armées navales. Minerve, soutenue en l’air au-dessus du roi, semble lui aller poser sur la tête un casque d’or ; et comme cette déesse préside à l’Entendement, cet habillement de tête qu’elle lui donne, composé de la matière la plus précieuse et la plus incorruptible de toute la Nature, peut être pris pour une image de toutes les vertus intellectuelles dont elle pourvoit les héros. Mercure lui présente pareillement un bouclier ; et parce qu’il est le dieu de l’Éloquence, on peut dire que ce / p. 21 / bouclier offert de sa main est un symbole de cette qualité admirable, puisque l’Éloquence sert de bouclier aux souverains pour défendre leurs droits par la raison, avant que de les soutenir par la voie des armes. Vulcain, accompagné d’un Cyclope, lui offre aussi une paire d’armes d’un acier très poli, avec des faisceaux de piques et d’épées. Mars lui amène des soldats. Apollon, Pluton et Cérès sont encore en divers endroits du tableau, et semblent chacun en particulier lui promettre ce qui dépend d’eux. Apollon et Pluton sont sur des nuages. L’un donne ses ordres pour le bâtiment d’une forteresse. L’autre a déjà répandu aux / p. 22 / pieds du roi ses trésors figurés par plusieurs vases remplis de pièces d’or. Cérès est aussi en l’air et, suivie de l’Abondance, s’approche de ce monarque pour signifier qu’elle devait prendre soin de la subsistance de ses troupes. Dans l’éloignement on voit toutes sortes d’ouvriers occupés aux bâtiments des vaisseaux ou des forteresses, et à tous les autres travaux militaires.
/ p. 23 / Quatrième tableau
Les quatre sièges
Ici le roi commence à entrer en action contre les Hollandais, qui avaient attiré sur eux sa colère par leur ingratitude. Le roi est debout ; à sa main droite est Monsieur duc d’Orléans, avec le prince de Condé. De l’autre côté est le vicomte de Turenne, tous peints au naturel. Le roi semble consulter avec eux, sur la pensée qu’il a d’attaquer en même temps quatre places, Wesel, Büderich, Orsoy et Rheinberg, dont il leur fait remarquer / p. 24 / la situation sur une carte du pays. Minerve, qui est en l’air, soutient la carte par en haut, et l’Amour de la Gloire, figuré par un enfant ailé couronné de laurier, semble l’étendre par le côté, pour signifier qu’il est de la souveraine Prudence et du véritable Amour de la Gloire en un conquérant de ne rien négliger de tout ce qui peut contribuer à sa victoire, comme de s’informer exactement de l’état des lieux qu’il veut attaquer. Là même paraît un jeune garçon d’un air fort sérieux, portant un doigt sur sa bouche, ce qui représente le Secret selon l’ancienne doctrine des Égyptiens. Il est derrière le roi et tient son habillement de tête / p. 25 / pour montrer qu’il est le dépositaire de ses résolutions, et que tous ses desseins sont couverts d’un secret impénétrable. La Prévoyance est au même endroit, figurée par une femme assise avec son compas à la main, pour nous faire entendre que les démarches du roi étaient compassées si justes qu’elles ne pouvaient manquer de produire quelque fameux évènement. La Vigilance, qui est encore une cause ordinaire des plus grands succès, paraît en l’air comme un nouveau garant du bonheur de cette entreprise. La Victoire même vole devant ce monarque, et trace en quelque façon la route qu’il doit tenir. Mars fait voir aussi qu’il a / p. 26 / embrassé ouvertement son parti, en mettant les fleurs de lys sur son bouclier et en animant ses soldats qui semblent se disposer à partir ; et la Gloire, compagne inséparable des actions célèbres, est au-dessus de lui toute prête à le revêtir de son éclat.
/ p. 27 / Cinquième tableau
Le passage du Rhin à Tolhuis
Ce tableau nous représente le passage de Tolhuis, où les Français traversèrent le Rhin à la nage et s’ouvrirent un chemin pour entrer dans les plus riches provinces de la Hollande. Et afin qu’on n’en pût pas douter, on a mis à l’extrémité du tableau, à main droite, une Victoire qui tient un étendard, dans lequel est écrit ce mot TOLHUIS.
Cet évènement presque incroyable a fourni au peintre / p. 28 / des idées dignes de son sujet. Le roi est sur un char de guerre, tiré par deux chevaux. La rapidité du mouvement est marquée par l’action des chevaux, qui s’élancent impétueusement, et par l’air de tête du roi, dont les cheveux sont repoussés en arrière par le vent. Il tient en main un foudre allumé, et il a le bras étendu pour le lancer contre ses ennemis. Il paraît animé de colère, mais d’une colère pleine de raison et de majesté, et qui excite en même temps la terreur et le respect. Le char passe sur un amas de figures renversées, ce qui fait voir que le roi a surmonté tous les obstacles qui s’étaient présentés à lui. Une femme vêtue / p. 29 / d’une robe de brocart d’or, et la couronne en tête, représentant l’Espagne, s’avance pour arrêter le char du victorieux, mais l’inutilité de son dessein paraît, en ce qu’au lieu de se jeter à la bride des chevaux, par où il semble qu’elle pouvait les arrêter, elle s’attache à un de leurs traits, ce qui ne sert qu’à la mettre en état d’être emportée elle-même. Tandis qu’elle fait cet effort, elle tient un masque en sa main, dont elle se couvre le visage pour signifier que ce n’était que par de secrètes pratiques qu’elle nuisait à la France, sans oser se déclarer ouvertement contre elle. D’ailleurs, plusieurs divinités s’intéressent à. la victoire du roi. / p. 30 / Hercule qui est l’image de la vertu héroïque, pousse le char d’une main par-dessus les flots, pour nous faire entendre qu’il prenait part aux travaux de ce nouvel Hercule, qui allait punir la témérité des derniers enfants de la terre. Le Rhin, fier de la profondeur et de la rapidité de ses eaux, s’épouvante de cette manière inouïe de les passer. La Gloire et Minerve, soutenues en l’air, précèdent le roi, pour signifier que la Prudence l’avait conduit où la Gloire l’appelait. Les Victoires et les Renommées volent de toutes parts. La Hollande est surprise et chancelante à l’aspect du vainqueur. Elle est représentée par une femme qui tient / p. 31 / un bouclier, où se lit encore une partie de cette insolente inscription, qui insultait tous les potentats de l’univers. Son Ambition paraît terrassée sous la figure d’un homme ailé couché sur le ventre, et dont les ailes sont à moitié coupées. Il tient d’une main une couronne qui lui échappe, et qui semble sortir du tableau. Le désordre de son Commerce est figuré aussi par un homme étendu sur le dos, entre plusieurs ballots de marchandises, et qui tient à la main un livre de compte, dont les feuillets paraissent brouillés. Derrière lui est une grosse bourse entrouverte, que sa chute semble avoir renversée, et dont l’argent se répand à terre. / p. 32 / La Ruine de ses forces maritimes est pareillement désignée par un matelot, qui tombe la tête la première et qui se retient avec peine à une ancre de navire. Plusieurs femmes effrayées représentent les villes de Wesel, Büderich, Orsoy, Rheinberg, qui furent attaquées les premières, et emportées en même temps. Leurs noms qu’on a placés dans leurs boucliers les font reconnaître. Dans l’extrémité du tableau on voit des hommes qui présentent de loin au roi les clefs des forteresses, ce qui marque la consternation des peuples.
De l’autre côté du cintre, la ville de Maastricht est pareillement figurée par une femme qui tombe à terre après / p. 33 / s’être défendue l’épée à la main contre Mars, qui lui arrache son bouclier où son nom est écrit, pour faire entendre que la Valeur du roi avait réduit sous son pouvoir cette ville, qui se croyait invincible dans sa défense, dont le bouclier est le symbole ordinaire. Au-dessus de ces deux figures est un gros nuage, sur lequel sont plusieurs Victoires, qui tiennent des boucliers chargés des noms et des armoiries de quantité de villes qui furent alors prises par les Français, comme Zutphen, Nimègue, Utrecht, etc. L’Europe, représentée sous la figure d’une femme qui tient par la bride un cheval fougueux, paraît étonnée de tant de grands / p. 34 / exploits ; et cet étonnement se communique jusqu’aux peuples du Nouveau Monde, qui sont peints dans un coin du tableau, et qui en effet, environ ce même temps, furent les témoins des victoires que l’armée navale de Sa Majesté remporta contre les Hollandais dans l’Amérique.
/ p. 35 / Sixième tableau
Union de l’Espagne, de l’Allemagne et de la Hollande contre la France
Le mémorable passage du Rhin et la prise des meilleures villes de la Hollande avaient jeté tant de frayeur dans l’esprit des Allemands, des Espagnols et des Hollandais, qu’ils crurent leur perte inévitable s’ils ne s’unissaient ensemble, pour s’opposer d’un commun effort au progrès des / p. 36 / armées du roi. Cette alliance est ici représentée sous l’image de trois femmes qui se donnent la main, et sur le visage desquelles on a adroitement exprimé les passions différentes dont ces nations étaient alors agitées. L’Allemagne est assise au milieu, toujours fière du titre de l’Empire romain. On découvre sur son visage un étonnement mêlé de repentir, et ces deux sentiments se font connaître par son bras étendu, et par ses yeux tournés vers le ciel. L’Espagne paraît transportée de dépit et de jalousie, et ses lèvres entrouvertes, comme si elle grinçait les dents, sont les marques du trouble où elle est. Elle se montre à visage découvert après / p. 37 / avoir ôté le masque sous lequel elle avait toujours été cachée, et qui lui demeure encore à la main. La Hollande est extrêmement effrayée. Elle a la tête en désordre et les cheveux épars, et il semble qu’en tenant l’Espagne par la main, elle appréhende qu’elle ne lui échappe, comme si cette alliance était l’unique remède à son désespoir. L’Allemagne met sa main sur les deux autres, pour conserver cet air de supériorité qu’elle affecte. Derrière elles on voit la Terreur, la Jalousie et la Crainte sous d’autres figures de femmes, accompagnées de certains symboles qui les font reconnaître. La Terreur tient un flambeau dont la lueur funeste effraye / p. 38 / tous ceux qu’elle approche. La Jalousie ronge son propre cœur, pour montrer que son poison agit contre elle-même. La Crainte a sous son bras un lièvre qui est le plus timide de tous les animaux. Et ces passions sont ici placées pour signifier qu’elles ont inspiré cette union contre la France. Du haut de la voûte, il se détache des Renommées, qui embouchent leurs trompettes et descendent en publiant les victoires du roi. Il y en a une, qui pour marquer la célérité de ses conquêtes, porte en écrit dans la banderole de sa trompette ces trois mots fameux de Jules César, Veni, Vidi, Vici. Et le bruit qu’on peut croire qu’elles font cause / p. 39 / en apparence une partie du trouble peint sur le visage des femmes qui représentent l’Espagne et l’Allemagne pour nous insinuer que la seule réputation des armes du roi avait soulevé contre lui ces deux puissances. Dans l’un des coins du tableau, on voit comme une ouverture de l’antre des Cyclopes, où l’on aperçoit, au travers de la flamme et de la fumée, des hommes nus qui forgent des armes. Quelques-uns d’entre eux apportent celles qui sont déjà forgées aux pieds de l’Allemagne et de la Hollande ; et d’autres en même temps semblent avoir impatience de les retirer. Et ces armes nouvellement fabriquées, que l’on porte et que / p. 40 / l’on rapporte, représentent les nouvelles levées qui furent faites alors de tous côtés par les ennemis, et lesquelles ne firent que de fausses démarches, par la mauvaise disposition des ressorts qui devaient les faire agir. À l’autre coin on voit plusieurs princes qui s’attroupent contre la France, et qui sont reconnaissables par leurs boucliers, où leurs armoiries sont peintes. Ces figures paraissent faire des mouvements opposés, et c’est par ce moyen que l’on a voulu exprimer le peu d’intelligence qui régnait alors entre ces princes, et qui rendit sans effet toutes leurs mauvaises intentions.
/ p. 41 / Septième tableau
La seconde conquête de la Franche-Comté
Les Espagnols ayant déclaré la guerre au roi, en conséquence de leur traité avec la Hollande, le roi résolut de les attaquer, et de porter le premier effort de ses armes dans la Franche-Comté, dont la conquête fut achevée en très peu de temps. Cette province est figurée par une femme au désespoir, et qui tend au roi les clefs de ses villes, en s’arrachant les cheveux. Elle est renversée sur / p. 42 / un tas de boucliers, où sont les noms des places conquises. Le roi est debout, appuyé sur un bâton de commandement. À ses pieds paraît un dieu de Fleuve sous la figure d’un homme nu, couché entre deux urnes, d’où il sort de l’eau abondamment. Ce fleuve est le Doubs, et ces deux urnes signifient qu’il était extraordinairement enflé quand l’armée française entra dans le pays. Mars, qui est à côté du roi, lui offre les villes de la province représentées par plusieurs femmes éplorées et assises à terre, entre lesquelles il y en a qui se couvrent la tête de honte et de douleur, pour montrer que le roi les avait subjuguées malgré leur aversion et leur / p. 43 / résistance. Dans une partie plus élevée du tableau, Hercule, qui est le symbole de la vertu héroïque, gravit sur un rocher la massue levée, pour combattre un lion et un homme armé, qui semblent en défendre le haut. Minerve est à côté de lui, et s’avance avec la même ardeur. Et sous cette idée le peintre a voulu exprimer la résolution vraiment héroïque du roi, qui fit attaquer en plein midi la citadelle de Besançon, située sur la pointe d’un rocher escarpé, dont on ne pouvait approcher qu’avec beaucoup de péril et d’extrêmes difficultés. Minerve accompagne Hercule, pour nous insinuer que ce fameux exploit n’était point un emportement / p. 44 / de valeur, mais une action où la prudence avait aussi beaucoup contribué, vue la manière avec laquelle cette attaque fut conduite. Le lion et l’homme d’armes qui défendent le haut du rocher désignent les troupes d’Espagne qui en furent chassées, comme il paraît par des hommes précipités, et par des soldats qui fuient. En cet endroit, le ciel est couvert d’un brouillard épais, au travers duquel on entrevoit quelques signes du zodiaque. Les Vents, figurés par plusieurs jeunes garçons à joues enflées, soufflent de toute leur force un air noir et pluvieux, pour marquer les pluies extraordinaires qui régnèrent en cette année-là jusqu’à la fin du / p. 45 / mois de mai. À l’extrémité du tableau, à main droite, on voit sur la branche d’un arbre à moitié sec, un aigle effrayé qui crie et qui bat des ailes, ce qui marque les vains efforts que firent les Allemands pour empêcher que le roi ne se rendît maître de la Franche-Comté. Au-dessous de l’aigle est un Suisse, l’épée à la main et le bouclier sur le bras, qui semble se retirer, pour faire entendre que les Suisses, après s’être d’abord émus de cette guerre, résolurent à la fin de ne s’en point mêler. À l’autre côté du tableau, la Victoire monte sur un palmier pour y attacher des boucliers et en dresser un trophée. Elle tient deux couronnes de / p. 46 / laurier, à cause des deux conquêtes de cette province. La Renommée est en l’air au-dessus du roi et la Gloire est plus haut encore, toute éclatante de lumière, après avoir percé le nuage qui semblait lui faire obstacle. Elle a dans sa main un cercle d’or, qu’elle avance en étendant le bras, et comme elle a les yeux fixement attachés sur le roi, il paraît que ce n’est que pour lui qu’elle a préparé cette couronne.
Charpentier
de l’Académie française
Fin de l’explication des sept grands tableaux de la galerie de Versailles
/ p. 47 / Explication des petits tableaux de la galerie de Versailles
Les petits tableaux de la galerie de Versailles sont dans les intervalles des grands, et forment six larges bandes qui partagent toute la voûte d’espace en espace. Sur chaque bande il y en a trois. Celui du milieu, et que nous / p. 48 / regarderons toujours le premier, est à l’endroit de la clef de la voûte, et est différent des deux autres, en ce qu’il n’est peint que de bleu ombré sur un fond d’or, en manière de bas-relief, et que sa bordure est à huit pans. Les autres sont colorés comme les grands tableaux, et leur bordure est en ovale. Il importe peu par lequel on commence, parce que les actions du roi qu’on y a représentées ne sont point rangées selon l’ordre des temps. Ainsi nous commencerons par la première bande de la voûte, qui s’offre en entrant dans la galerie du côté des appartements, et nous continuerons de suite.
/ p. 49 / Premier tableau de la première bande
(Il est peint de bleu ombré, à la clef de la voûte.)
Libéralité du roi faite au peuple pendant la famine de l’année 1662
La stérilité des années 1660 et 1661 causa une espèce de famine en France, particulièrement autour de Paris. Et le peuple de cette grande ville et des environs aurait infiniment souffert, si le roi n’eût remédié à cette indigence en faisant venir du blé des pays étrangers /
p. 50 / et le distribuant ensuite aux particuliers. C’est cette Charité qui est ici représentée par une femme ailée, à qui l’on voit une flamme sur le haut de la tête. D’une main elle tient une corne d’abondance, et de l’autre elle distribue du pain à plusieurs personnes à genoux, ce qui fait voir sous une image naturelle le secours que Sa Majesté accorda à ses peuples durant cette calamité publique.
/ p. 51 / Second tableau de la première bande
(Il est du côté des miroirs.)
Secours donné aux Hollandais attaqués par l’évêque de Munster
L’évêque de Munster se prétendant offensé des Hollandais, entra en armes dans leur pays, et s’étant rendu maître de leurs meilleures places, les allait réduire aux dernières extrémités si le roi ne les eût / p. 52 / secourus. Ces deux puissances sont représentées sous l’image de deux femmes qui combattent. Celle qui représente la Hollande est armée d’épée et de bouclier, sur lequel son nom est écrit. L’autre est armée de même, et le nom de Munster est aussi écrit sur le bord de son bouclier. On voit sur le visage de celle-ci beaucoup de colère et de dédain pour son ennemie ; et à juger de la suite de leur combat, par l’avantage qu’elle semble avoir, on devine aisément que la fin n’en aurait pas été heureuse pour la Hollande. Dans ce moment, la France figurée par une femme soutenue sur un nuage se met entre les deux et porte la main / p. 53 / sur la victorieuse pour la désarmer. C’est ce que le roi fit quand il obligea cet évêque à faire la paix avec les Hollandais, et qu’il arrêta le cours d’une guerre qui apparemment leur aurait été fatale.
/ p. 54 / Troisième tableau de la première bande
(Il est du côté des fenêtres.)
Réparation de l’injure faite à l’ambassadeur de France à Rome
Les Corses de la garde du pape ayant fait une insulte dans Rome à l’ambassadeur de France, cette insolence fut désavouée du pape, qui envoya en France le cardinal Chigi, son neveu, avec la qualité de légat du Saint-Siège, pour assurer / p. 55 / le roi du déplaisir que Sa Sainteté avait de ce qui s’était passé, et lui en faire satisfaction. Les Corses furent exclus pour jamais de la garde du pape, et il fut convenu qu’on élèverait dans Rome une pyramide qui contiendrait le narré de cet attentat, et la punition qui en avait été faite. C’est ce que le peintre a voulu nous faire voir. La France est représentée debout, tenant un papier étendu, dans lequel paraît le dessin de la pyramide. Rome, figurée par une femme vêtue de pourpre, et qui a la louve à ses pieds, s’incline devant la France. Ce qui marque la soumission qu’elle fut obligée de lui faire, non seulement pour éviter les suites / p. 56 / d’un si fâcheux accident, mais pour se justifier elle-même d’une action si universellement condamnée.
/ p. 57 / Premier tableau de la seconde bande
(Il est peint de bleu ombré, à la clef de la voûte.)
Défense des duels
Le duel est sans contestation une des plus dangereuses pestes de l’État, et il y a longtemps que nos rois ont tâché d’en purger la France. Mais ce monstre opiniâtre n’a jamais été bien dompté. Sa défaite était réservée à la sagesse du roi, et à la sévérité salutaire avec laquelle il a puni irrémissiblement les duellistes. Plusieurs exemples célèbres de cette / p. 58 / justice inflexible ont aboli ce crime, en fermant toutes les voies à l’espérance de l’impunité. C’est le sujet de ce tableau, où la justice, sous la figure d’une femme qui tient une épée et des balances, sépare des hommes qui se battent l’épée à la main, pour montrer qu’elle allait faire cesser pour jamais ces combats criminels, qu’une vaine ostentation de valeur avait introduits parmi les hommes.
/ p. 59 / Second tableau de la seconde bande
(Il est du côté des miroirs.)
Secours donné à l’empereur contre les Turcs en l’année 1664
La France a toujours été le bouclier de la chrétienté, et il n’y a guère de princes voisins des Infidèles, qui n’aient eu besoin de son secours en un temps ou en un autre. Les Turcs, en l’année 1664, ne se flattaient pas d’une moindre espérance que d’envahir toute l’Allemagne. Ils avaient jeté de puissantes armées dans la Hongrie, et les premiers avantages qu’ils remportèrent sur les chrétiens / p. 60 / leur en promettaient encore de plus grands. La France opposa une digue à ce torrent impétueux. Le combat de Saint-Gothard, où les Turcs furent défaits par les troupes du roi, délivra l’Allemagne du danger qui la menaçait. C’est ce secours si généreusement et si utilement accordé à l’empereur qui se trouve ici représenté. La France est figurée par une femme armée d’épée et de bouclier. Les Turcs sont terrassés à ses pieds en signe de leur déroute, et l’aigle chancelant s’appuie sur son bouclier, pour montrer qu’elle l’avait soutenu durant l’orage et que c’était à la seule valeur des Français que l’Empire était redevable de sa sûreté.
/ p. 61 / Troisième tableau de la seconde bande
(Il est du côté des fenêtres.)
Préséance de la France sur l’Espagne maintenue
Quoique la préséance de la France sur l’Espagne soit établie par des raisons invincibles, et par une possession immémoriale, les Espagnols ne laissèrent pas de vouloir précéder les Français en Angleterre, à l’entrée de l’ambassadeur de Suède, au-devant duquel, selon / p. 62 / la coutume, tous les autres ambassadeurs envoyèrent leurs carrosses. Les Français qui allèrent à cette cérémonie ne croyaient pas se devoir trouver à une bataille ; mais les Espagnols, qui s’y étaient préparés, les attaquèrent d’une manière cruelle. Ils en couchèrent plusieurs sur le carreau, et tuèrent les chevaux des carrosses de l’ambassadeur de France. Après quoi rien ne les empêcha d’usurper le rang qui ne leur était pas dû, ce qui arriva au mois d’octobre 1661. Un attentat signalé comme celui-là n’aurait pas manqué de rompre la paix entre les deux couronnes, si le roi d’Espagne, bien loin de soutenir l’action du baron de / p. 63 / Vatteville, ne l’eût hautement condamnée, en le révoquant aussitôt de son emploi, et en donnant ordre au marquis de Fuentès, son ambassadeur en France, de déclarer au roi, en présence de tous les ambassadeurs envoyés, et résidents des autres princes de l’Europe, qui se trouveraient alors auprès de Sa Majesté, « qu’il ne prétendait point que ses ministres disputassent le pas aux Français et qu’au contraire il leur défendrait de concourir jamais avec eux ». C’est cette soumission si remarquable que l’on a ici exprimée sous certaines figures allégoriques. La France et l’Espagne sont représentées sous l’image de deux femmes. La première / p. 64 / marque dans sa posture beaucoup de majesté, et même un peu de ressentiment. L’autre s’avance vers elle d’un air fort soumis, et le lion d’Espagne se couche aux pieds de la France, pour signifier que l’orgueil de cette nation avait été obligé de fléchir en cette rencontre. Derrière la France paraît la Justice qui tient ses balances dans l’équilibre, pour montrer que cette déférence de l’Espagne était de droit, et que la Justice même avait présidé à cette action.
/ p. 65 / Premier tableau de la troisième bande
(Il est peint de bleu ombré, à la clef de la voûte.)
Guerre contre l’Espagne pour les droits de la reine
Après la mort du roi d’Espagne, le roi demanda aux Espagnols les provinces qui appartenaient à la reine son épouse, et sur leur refus, il se mit en état d’occuper par la voie des armes ce qu’il ne pouvait obtenir par une cession volontaire. C’est ce qui causa la première guerre contre l’Espagne, / p. 66 / dont on a voulu nous donner ici quelque idée. Le roi est représenté debout, en action de marcher. Derrière lui est la Justice et l’Hyménée, pour montrer qu’il n’entreprenait que la défense d’un droit légitime, et acquis en conséquence de son mariage. Mars le précède sur un nuage et semble le conduire, pour signifier que la guerre était le seul moyen de tirer raison du tort qui lui était fait. La Renommée vole encore devant lui, et le rouleau de papiers qu’elle tient représente les manifestes que le roi fit publier alors pour la défense des droits de la reine.
/ p. 67 / Second tableau de la troisième bande
(Il est du côté des miroirs.)
Rétablissement de la navigation
La navigation est trop importante au bien du royaume pour la négliger, cependant comme elle était fort diminuée lorsque le roi prit le soin de ses affaires, il s’appliqua d’abord à la remettre en son premier lustre, et à rendre la France puissante sur mer, tant pour le commerce que pour la guerre. C’est ce que la peinture / p. 68 / nous explique ici à sa manière. Le roi est assis, et tient un trident à la main. Devant lui est un matelot qui prend entre ses bras un ballot de marchandises pour l’aller charger sur un vaisseau qu’on voit proche de là, ce qui nous fait une image du Commerce, qui consiste principalement dans le transport des marchandises. Derrière le roi est une femme qui tient une corne d’abondance, et auprès d’elle sont des corsaires turcs assis à terre, les mains liées derrière le dos, ce qui marque les avantages de la navigation, qui d’un côté attire l’abondance dans le royaume, et de l’autre met le roi en état de purger la mer de corsaires.
/ p. 69 / Troisième tableau de la troisième bande
(Il est du côté des fenêtres.)
Réformation de la Justice
Une des principales fonctions de l’autorité souveraine est de donner des lois aux peuples quand ils en manquent ou de réformer les anciennes quand il s’y est glissé des abus. C’est ce que le roi a fait par sa nouvelle ordonnance, dans laquelle il a particulièrement / p. 70 / eu pour but d’abolir la chicane et de trancher le cours des procédures inutiles, qui rendaient les affaires immortelles. Pour exprimer un soin si digne du roi, on l’a représenté assis sur son trône. D’une main il tient un livre, et de l’autre un sceptre. La Justice est à son côté, tenant ses balances dans l’équilibre. Ce livre désigne le Code, et le roi le donne à des juges qui sont debout auprès de lui. La Chicane est écrasée sous les pieds du nouveau législateur. Elle est peinte sous la figure d’une vieille femme hideuse à voir, et couchée sur des sacs remplis de papiers, qu’elle embrasse comme le seul bien qui lui reste ; et c’est ce / p. 71 / qui arrive effectivement à la plupart des plaideurs, à qui les procès ne laissent que des papiers inutiles, après les avoir privés des biens véritables.
/ p. 72 / Premier tableau de la quatrième bande
(Il est peint de bleu ombré, à la clef de la voûte.)
Paix faite à Aix-la-Chapelle
La première guerre contre l’Espagne se termina par la paix faite à Aix-la-Chapelle. Par ce traité on demeura d’accord que le roi retiendrait en toute souveraineté les places qu’il avait occupées dans la Flandre, et qu’il rendrait la Franche-Comté au roi catholique. Cette paix est le sujet de ce tableau. / p. 73 / Le roi est représenté debout. Il tend un rameau d’olive à l’Espagne, qui est à sa main droite, et qui reçoit de lui ce présent avec beaucoup de joie. À côté gauche du roi est une autre femme à genoux, qui paraît affligée ; et cette figure représente la Franche-Comté, qui en ce temps-là ne retourna qu’avec regret sous la domination des Espagnols. La Victoire est au-dessus du roi et lui met sur la tête une couronne de fleurs, en signe de pacification. La Renommée vole en l’air, pour en porter la nouvelle de tous côtés.
/ p. 74 / Second tableau de la quatrième bande
(Il est du côté des miroirs.)
Ordre remis dans les finances
Si la puissance militaire est le soutien des États, les finances, que l’on appelle ordinairement les nerfs de la guerre, sont les soutiens de la puissance militaire. Ainsi le soin des finances a toujours occupé les plus grands princes, qui par ce moyen se rendent redoutables à leurs ennemis, et se mettent en état / p. 75 / de soulager leurs sujets. C’est aussi à quoi le roi s’est particulièrement appliqué, et c’est ce que la peinture n’avait garde d’oublier en cet endroit. Le roi est assis et la France, qui est devant lui, le regarde d’un air suppliant, tandis que Minerve, animée de colère, poursuit l’épée à la main des Harpyes qui s’envolent, et qui en fuyant laissent échapper des sacs pleins d’argent, dont elles s’étaient chargées. Cette Colère de Minerve représente la Prudence du roi, indignée des abus qui se commettaient dans les finances ; et la France suppliante est un témoignage que le royaume soupirait depuis longtemps après une réformation / p. 76 / si nécessaire. D’autre côté, et sur le devant du tableau, on voit une femme assise sur un chien, qui tient dans sa main un livre et une règle, et qui a auprès d’elle plusieurs bourses remplies d’or et d’argent. Ce qui nous fait entendre que le Bon Ordre, figuré par le livre et par la règle, avec la Fidélité marquée par le chien, sont les sources les plus assurées des richesses d’un État. Le roi tient d’une main une clef d’or, et de l’autre s’appuie sur un gouvernail, pour signifier qu’il voulait être lui-même le dispensateur de ses finances, et qu’en cela consiste une partie du gouvernement.
/ p. 77 / Troisième tableau de la quatrième bande
(Il est du côté des fenêtres.)
Protection accordée aux beaux-arts
Il n’y a rien qui rende un royaume plus florissant que les sciences et les arts. C’est pourquoi il a toujours été glorieux aux grands princes de traiter avec beaucoup de distinction ceux qui s’y adonnent ; principalement quand ils réussissent. C’est ce qui fait que la France est aujourd’hui la plus noble partie de l’Europe, et que les / p. 78 / beaux-arts y sont montés au degré de perfection où nous les voyons. Pour marquer, donc, cette glorieuse distinction que le roi a toujours faite des personnes d’un mérite reconnu, le peintre a employé ces figures. Le roi est assis, et Minerve debout est à son côté. Une femme qui a une couronne sur la tête, et un caducée d’or à la main, se prosterne devant lui. Et par cette femme on a voulu figurer l’Éloquence. Sa couronne fait voir qu’elle règne absolument sur les volontés des hommes, et le caducée signifie qu’elle apaise leurs différends par la douceur de ses persuasions, le caducée étant un symbole de paix. La posture où elle est / p. 79 / devant le roi laisse à juger qu’elle lui demande sa protection. Et il semble consentir à ce qu’elle désire, pour montrer ce que le roi a fait quand il s’est déclaré protecteur de l’Académie française. Derrière elle, on voit plusieurs autres femmes, pour représenter les autres arts et les autres sciences qui ambitionnent aussi les favorables regards de ce monarque, de qui elles tirent toute leur gloire.
Charpentier
de l’Académie française
Fin de l’explication de douze petits tableaux de la galerie de Versailles
Auteur : Nicolas Milovanovic
© Coproduction RMN – EPV, 2008